Avec ses figures de personnages essayant d'évoluer dans un monde en proie à la misère et à la chute des repères moraux, son regard sur la condition féminine, Kawashima Yuzo incarne la transition entre le cinéma japonais de l'âge d'or et celui de la Nouvelle Vague.
Une Jeunesse Cinéphile
Né en 1918 à Tanabu dans une famille de commerçants, Kawashima Yuzo s'intérèsse très jeune à la littérature -Chikamatsu- et au cinéma -la découverte de Griffith sera un choc pour lui-. Il étudie les Lettres à l'Université Meiji. Durant sa jeunesse, il développe une aversion contre la guerre et l'armée -il se fera réformer du service militaire en 1943- et surtout un refus de l'autorité qui caractérisera son parcours de cinéaste.
Débuts Fulgurants et Désillusions
Il part à Tokyo où il devient membre de la Eigashudan et de la Nihon Eiga Kenkyukai, une organisation qui regroupe les clubs de cinéma de toutes les universités du Japon. A 20 ans, il réussit son concours d'entrée à la Shochiku et devient réalisateur pour cette major en 1943 après avoir été assistant-réalisateur de Kinoshita Keisuke. Là, ses premiers films sont boudés par le public et il se retrouve obligé de travailler dans l'ombre d'Ozu et de Kinsoshita. De retour derrière la caméra, il tourne des comédies de commande qui sont parfois des succès publics. 1951 sera l'année de sa rencontre avec son futur compagnon d'écriture scénaristique Imamura Shohei. Ne trouvant pas dans la Shochiku un contexte pour exprimer sa vision du cinéma -situation qui n'est pas sans évoquer ce que seront les conflits entre Oshima et la Shochiku plus tard-, il quitte la compagnie pour rejoindre en 1954 la Nikkatsu après avoir tourné Entre hier et demain, portrait d'un battant dans le Japon de l'après-guerre joué par TSURUTA Koji et adapté d'un roman d'Inoue Yasushi qui sera un succès au Box Office. A la Nikkatsu, il pourra enfin construire un style et un univers personnel.
Le Succès et une Carrière Trop Vite Interrompue
Cette nouvelle voie est très vite couronnée de succès public avec Le Poids de l’Amour (1954). Ayant enfin trouvé son public, il quitte la Nikkatsu pour obtenir des salaires plus élevés à la Tokyo Eiga et à la DAIEI. Il tourne pour ces majors des adaptations de romans populaires telles que Chambre à Louer (1959), Les Femmes Naissent Deux Fois (1961), Le Temple des Oies Sauvages (1962), mal aimées des auteurs des romans originaux qui n'aiment pas la réappropriation de leurs oeuvres par le cinéaste mais très appréciées du public. Il meurt d'une crise cardiaque en 1963. En 1991, Imamura Shohei présenta au Festival de Rotterdam quatre de ses films considérés comme majeurs: Le Paradis de Suzaki (1956), Chronique du Soleil à la Fin d'Edo (1957) considéré comme son chef d'oeuvre, Les Femmes Naissent Deux Fois (1961) et La Bête Elégante (1962). En 2003, la Maison de la Culture du Japon à Paris lui rend hommage au travers d'une rétrospective.
A Propos de Kawashima et Imamura
la rencontre
Imamura ne souhaitait pas travailler comme assistant pour Kawashima. Pour deux raisons: il n'aimait pas ses films de l'époque et préférait les soirées arrosées au travail. Par estime pour certains des collaborateurs de Kawashima, il accepta et devint son quatrième assistant puis passa très vite premier assistant et scénariste. Une collaboration complice de 5 ans commença alors. Imamura prend vite l'ascendant dans la collaboration sans pour autant convertir Kawashima à ses vues naturalistes.
sur les points communs entre leurs cinémas
Imamura Shohei: « J’ai d’abord été premier assistant réalisateur de Kawashima, puis nous avons passé des jours et des nuits à écrire ensemble des scénarios. Incontestablement, j’ai été très influencé par lui (…) L’ensemble de ses films est caractérisé par le thème du grotesque. Il y a chez lui quelque chose qui serait comme un courant sous-jacent très pessimiste, très sombre, sur la vie, même si cela n’apparaît pas au premier plan. Si j’étais influencé par Kawashima Yuzo, c’est plutôt par ce qui apparaissait au premier plan le côté grotesque, drôle, amusant, et je ne crois pas du tout être aussi pessimiste que lui. ».
sur la complémentarité de leurs approches
Ozawa Shoichi: « Kawashima possédait un don très pointu, mais en même temps il était très négligent. Il se laissait aller. Moi, j’aimais beaucoup son côté négligent, nonchalant, mais Imamura Shohei ne pouvait pas l’accepter. En tant qu’assistant-réalisateur, il s’est occupé de pallier ces négligences. Je considère que Chronique du soleil à la fin de l’ère Edo est un film presque coréalisé par Kawashima et Imamura. Ils ont des caractères complètement opposés. Kawashima Yuzo est né et a été élevé à l’Extrême Nord du Tohoku, dans la péninsule de Shimokita, tandis que Imamura Shohei est un fils de médecin de Tokyo. La culture qu’ils ont assimilée est complètement différente. Kawashima Yuzo aspirait à une culture urbaine, alors que Imamura Shohei tenait à ces éléments innés qui existent chez les gens du Tohoku, à ce qui réside au fond de ces gens. Ils se stimulaient l’un l’autre. On aurait dit que c’était des étincelles de feu qui se produisaient entre ces deux personnalités. Quand Imamura Shohei faisait allusion au climat ou aux mœurs du Tohoku, Kawashima Yuzo criait : il n’y a rien d’intéressant dans cette région! Kawashima écrivait formidablement les comportements ou la vie des hôtesses de bar à Ginza ou encore la vie des maîtresses ou les protégées des hommes d’une classe supérieure. Imamura Shohei n’a jamais traité de ce milieu là. (…) La raison pour laquelle il veut décrire plutôt Yoshiwara ou Shinjuku, au lieu de s’intéresser à Ginza, c’est que les femmes qui y travaillent ne sont pas originaires de Tokyo, mais ce sont des filles qui sont venues à Tokyo de leur campagne natale, notamment du Tohoku. Mais en tant qu’être humain, Imamura aimait beaucoup Kawashima. »
Les films de Kawashima offrent une vision burlesque du Japon de l'immédiat après-guerre au travers de personnages dépourvus de dimension héroïque -prostituées, jeunes couples errants, laissés pour compte, nouveaux riches parvenus, escrocs, hommes politiques dont la vie est en contradiction avec les idées-. Derrière cette vision transparaît néanmoins un certain pessimisme. Son cinéma se distingue dès lors nettement d'une grande partie du cinéma japonais de l'âge d'or (la majorité de la production des studios était alors formée de films en costumes et de mélodrames).sources: Maison du Japon, Fluctuat.Net, Dossier de Presse de la Rétrospective, Shohei Imamura Entretiens et Témoignages éditions Dreamland
Ordell Robbie
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