La Vierge des tueurs
Voir à la suite le raté L'Extase des anges et le réussi Va Va deux fois vierge, c'est avoir devant ses yeux les forces et les limites d'un cinéma cherchant à s'inscrire dans les voies de l'avant-garde et de la modernité. Forces et limites valant d'ailleurs pour tout un cinéma d'auteur actuel encensé (Suwa, Denis, Van Sant, Hong Sang Soo...) dans lequel le risque de la pose n'est jamais très loin. Soit lorsque la recherche de la nouveauté aboutit à refaire ce que d'autres ont déjà fait. Ou lorsqu'à force de systématiser certains parti pris artistiques ce qui se veut audacieux devient système, routine. Et aboutit à un cinéma qui n'est que idée, concept et dispositif. Contrairement à L'Extase des anges, Va va deux fois vierge n'est pas encore tombé dans cet écueil-là. Dans ce film tourné pour trois fois rien sur un toit d'immeuble, l'usage de la musique comme contrepoint des images et cet enchainement de photos de Polanski et Sharon Tate avec des planches de Lone Wolf and cub évoquent certes le Godard de la seconde moitié des sixties (dont Wakamatsu dit ne pas avoir vu les films). Mais en même temps ces choix-là se font le reflet de l'envers de l'insouciance sixties, un vrai condensé d'époque.
Et le risque de voir certains parti pris formels virer au tic est en partie amorti par le choix de fonder montage, récit et mise en scène sur la rupture. Les plans larges et les plans plongeants reflètent une société écrasant les protagonistes du film tandis que vus en plans subjectifs du toit de l'immeuble c'est le Tokyo moderne, propre qui semble extra-terrestre, étranger. Et lorsque le film remonte vers les moments où les héros ont perdu leur innocence (innocence perdue de l'époque d'ailleurs, celle d'un Manson/face noire du rêve hippie et d'Altamont) il passe d'un coup du noir et blanc à la couleur. La caméra y parcourt avec une énergie no future un escalier tandis que dialogues, passages chantés et moments où les personnages semblent parler au public créent parfois lourdement la distanciation. Cinéma où l'artifice permet d'être au plus près du chaos d'une époque. Et au milieu de cet univers fait de voyous grotesques et de vieux lubriques, Boy meets Girl. Mais pour chacun le temps de l'innocence est depuis longtemps fini et reste à tuer le temps en attendant la mort. Et en attendant on tente de laver cette innocence perdue par deux impasses: l'oubli et le meurtre.
Le film doit aussi sa force à ses décors dont le caractère désaffecté, en ruine est bien mis en valeur par le travail sur le cadre. Unité de lieu où l'ouvert à l'air, le sommet deviennent synonymes de huis clos, d'isolement. Pour un vrai témoignage de l'éclosion du cinéma indépendant au Japon dans les sixties. Et un film sachant se contenter d'être l'air de son temps.
Sur le toit du monde (69)
"Go, go second virgin" fait directement écho au précèdent film de Wakamatsu, "Sex Games" de 1969. Une nouvelle fois, Wakamatsu filme un scénario de son fidèle collaborateur Adachi Masao, qui – lui – s'est inspiré d'un poème de Nakamura Yoshinori, mis en musique par l'acteur principal (et assistant réalisateur) Akiyama Michio. Un film une nouvelle fois réalisé au sein d'un véritable "clan Wakamatsu" et principalement tourné sur le toit de l'immeuble des bureaux de sa société de prod du réalisateur.
Il s'agit une nouvelle fois d'un portrait incroyablement engagé de la jeunesse soixante-huitarde. Au lieu d'un sentiment d'extrême liberté, Wakamatsu va évoquer celui d'un enfermement et d'une oppression. Des jeunes hippies vont abuser de leur esprit communautaire pour violer une fille isolée (et plus tard, ils auront d'ailleurs une nouvelle fois attirée d'autres filles sur le toit pour pouvoir abuser d'elles); le sexe n'est donc plus une expression libertaire (et libertine), mais celui d'un véritable viol d'une fille.
Ensuite, l'historie va quasi intégralement se dérouler sur le toit de l'immeuble, métaphorisant bien évidemment la réclusion du Japon de l'époque, péninsule insulaire, se croyant encore au-dessus de u reste du monde, mais incroyablement isolée. Le seul échappatoire possible semble la mort en se jetant du haut de l'immeuble. L'autre échappatoire est celui d'escaliers interminables, qui mènent de plus en plus bas, comme s'ils guidaient directement vers un Enfer caché. La fuite des deux héros vont les mener vers un espace cloisonné, un appartement, qui est également la scène d'un terrible crime. Wakamatsu n'offre aucune issue à ses jeunes héros et le dénouement semble dès lors inéluctable. Le seul moyen de s'exprimer est celui des phrases reprises d'autres (la répétition des strophes du poème) ou celui de la violence (sexuelle ou mortelle).
Wakamatsu atteint également un esprit visionnaire en faisant de son jeune interprète une sorte de Charles Manson avant la date, même entrecoupé des images de l'actrice Sharon Tate, épouse de Roman Polanski et future victime de la secte diabolique menée…par Chalres Manson lui-même.
La toute fin ne porte d'autre lien avec ce qui a suivi que la restriction de la liberté d'une certaine jeunesse et qui apporte à la paranoïa ambiante de l'époque.
Un film assez indigeste à regarder, mais d'une incroyable véracité et d'une rare intelligence et qui s'impose comme une œuvre majeure visionnaire avec le recul des années. C'est bien autre chose que les expérimentations ludiques d'un Godard de la même époque…
Représentatif d'une époque
Le titre du film semble étrangement renvoyer au film de Russ Meyer ,"Faster pussycat kill!kill!" de trois ans son ainé.
Ce film est d'ailleurs parfaitement représentatif de la vague de liberté qui souffla vers le milieu des années soixante sur les cultures des sociétés industrialisées,en particulier sur le cinéma,le Japon n'étant pas le dernier à vouloir briser les modes de vie antérieurs.Mais si la libération des moeurs donna des oeuvres maitrisées et réussies,pas mal d'autres sont tombées dans l'oubli en toute justice,et c'est le cas avec ce " Go Go 2d time virgin", tentative maladroite de mélanger le free cinéma,le film d'auteur tendance nouvelle-vague,au cinéma d'exploitation privilégiant le sexe et la violence.
Si la photographie en noir et blanc est trés soignée et esthétique,les inserts en couleurs sont moins réussis,malgré cette bonne idée de départ de représenter les souvenirs des deux héros du film.
Et puis malgré un scénario original et intéressant,son traitement à l'écran est rapidement ennuyeux,un comble pour un moyen-métrage d'à peine plus d'une heure.Et si l'interprétation est concluante avec deux jeunes acteurs crédibles,les dialogues sont hélàs souvent consternant de platitude,voire ridicules,comme quand la jeune fille répète à longueur de phrase qu'elle veut être tuée,mais sur un ton de récitation qui ferait croire à une parodie (involontaire)de Jean-Luc Godard à ses pires moments...
Si l'on ajoute par-dessus un score musical inadapté et agaçant,on a alors un ensemble pas trés convaincant.
En fait, le meilleur du projet est justement son côté cinéma-bis,et le réalisateur se lâche vraiment pour des scènes de massacre assez jouissives,surtout aprés tant de longueurs!Le film en devient plus sympathique et moins prétentieux,libéré de sa volonté auteurisante carrément plombante.Du coup,le final trés "dépressif" est bien amené et traité.
Cet essai plein de bonnes idées pour un résultat final inabouti,s'avère trés daté,trop typique des années soixante finissantes. Il reste quand même un témoignage intéressant sur une époque et sa façon de l'appréhender avec une caméra.