Ordell Robbie | 3 | Plaisant mais les cadres "serrés" lassent à force de systématisme. |
Astec | 3.5 | Histoires mortelles |
A quarante ans passés, TAKAHASHI Tsutomu est un mangaka à la réputation bien établie au Japon. S’il s’était déjà fait une place dans l’industrie avec son long run de 19 volumes Jiraishin, thriller sombre et glauque initié après ses deux années d’assistanat auprès de KAWAGUCHI Kaiji (Zipang, et Seizon Life...), un feuilleton à succès et deux films adaptant ses travaux l’ont définitivement installé comme auteur seinen (manga pour jeunes adultes) incontournable.
C’est surtout au réalisateur très « dans le vent » KITAMURA Ryuhei que TAKAHASHI doit son rayonnement accru. Après le trip carcéral fantastique Alive tiré du manga du même nom et sorti en 2002, KITAMURA a adapté Skyhigh sur grand écran l’année suivante (1), à la suite d’une série télévisée à succès. Mais ce n’est pas là la seule connexion qu’entretient le mangaka avec le monde du cinéma : en 2004 il a empoigné la caméra pour porter à l’écran, le grand, une histoire originale intitulée Ichigo Chips. Coréalisé avec NAKAHARA Shun, ce premier petit film sous forme de chronique autour d’une dessinatrice de manga en plein questionnement, a fait l’objet d’une diffusion très discrète au Japon.
Une jeune femme enceinte tuée par sa meilleure amie qui la jalousait, une jeune fille assassinée souffrant de solitude, un banal « salaryman » trouvant la mort en sauvant quelqu'un d’une agression... Tous sont désormais face à leur dernier choix avant de quitter définitivement le monde des vivants suite à une mort violente. Tous se retrouvent devant La Porte des Rancoeurs, face à la gardienne, la mystérieuse Izuko qui leur propose invariablement les mêmes alternatives : « Tu peux accepter la mort et aller au paradis en attendant de renaître, tu peux refuser la mort et errer dans le monde des vivants comme un fantôme, ou tu peux tuer quelqu’un en lançant une malédiction mais, par là-même, te condamner aux enfers ».
Histoires de mortels
Tout Skyhigh tient dans ce dialogue, revenant comme un leitmotiv systématique dans les histoires composant les deux volumes que compte le manga de TAKAHASHI. Un procédé narratif permettant de surligner son argument scénaristique premier et qui, dans le cadre de la pré publication au Japon (entre 2001 et 2002 dans la revue Young Jump Comics), lui a probablement aussi parfois facilité le travail d’écriture. Mais pas au niveau visuel. Car c’est là le premier argument en faveur du mangaka : un dessin réaliste et plaisant, un trait plein d’élégance, des personnages féminins graphiquement avenants et expressifs (itou pour les mecs mais en moins « beaux gosses »), un découpage net et clair ménageant des pleines ou doubles pages... Tout au plus peut-on reprocher à TAKAHASHI l'usage de cadres trop serrés, un dessin qui a tendance à étouffer dans ce genre de vignettes. Mais ce défaut n’en est pas forcément un dans le cas de Skyhigh : après tout, quoi de plus naturel que le dessin d’un manga traitant de la mort vienne à manquer d’air ?
Skyhigh est donc construit comme une anthologie d’histoires courtes mettant en scène à chaque fois des personnages différents. Seule la froide et énigmatique Izuko fait le lien entre chaque récit. Qui est-elle ? D’où vient-elle... ? Ce n’est clairement pas l’objet du manga, même si le second volume aborde en son temps le cas de la gardienne. Car chaque histoire est avant tout l’occasion pour l’auteur de se pencher sur le destin personnel du décédé du moment, de revenir sur les circonstances de sa mort, sur les conséquences également. Les victimes, d’origines diverses (d’âge, de genre, de condition sociale...) et devant l’ultime choix qui leur est laissé, redécouvrent sous un nouvel angle ce qu’a représenté leur vie. Untel constate la valeur d’un amour, l’autre la solitude qu’a été sa vie, encore un autre - le gardien d’entreprise du chapitre 6 par exemple - explore rétroactivement l’étroitesse d’une vie assimilée à une fonction... Une bonne occasion de faire le point en somme. Avant le grand somme. TAKAHASHI, à travers le prisme du fantastique et la notion de choix présente à toutes les sauces, met en lumière les travers, les frustrations, les regrets et les colères de ses personnages. Avec eux, ce sont aussi d’autres « dysfonctionnements » qui sont mis à jour et, derrière la dimension psychologique des actes de chacun, se dessine - parfois - une toile de fond à la saveur plus sociale.
Sombre, macabre, violent quand il le faut, sensuel et même libidineux (éros et thanatos et tout ça), fatal voir parfois fataliste... ; Sky High n’est pourtant pas un objet définitivement désespéré, car il y est aussi question de choix, de renaissance, de nouvelle chance. Tous ne la saisissent pas.
Notes :
>(1) KITAMURA semble d'ailleurs apprécier TAKAHASHI puisqu'ils viennent encore de collaborer cette année pour le film Lovedeath.
(2) A signaler que pendant deux années TAKAHASHI a eu NIHEI Tsutomu, futur auteur de Blame, comme assistant sur Jiraishin.