Après 30 minutes quelque peu hésitantes, Save the Green Planet prend son envol et réussit le mariage à la fois gonflé et réjouissant de tous les thèmes et genres possibles et imaginables, jusqu’à un twist final digne d’Oldboy. Un film complètement déjanté, très drôle et qui retombe toujours sur ses pattes. A se repasser fissa entre amis !
A la vue du film, une question ne peut que se poser pour le spectateur: Jang Jun Hwan n'est-il pas allé un peu trop loin? Loin, non pas dans le contenu de ce qu'il montre à l'écran, mais dans sa volonté de trop en faire. Sans vouloir faire de spoiler, la fin désamorce en partie tout ce qui avait été contruit et bien construit pendant le reste du film. Car le sujet du film est finalement très prosaïque, avant de savoir si l'homme peut sauver la terre, la vraie question porte sur la capacité de l'individu à se sauver lui-même, à sa possible rédemption ici et maintenant. Et en cela le film atteint parfaitement sa cible à travers l'histoire de ce héros seul contre tous (ou presque) dont on ne sait si son combat est réel ou fantasmé et où la violence manifestée semble être le prolongement naturel de la violence subie et refoulée.
Pour arriver à ce climat d'intimité avec un héros pourtant très marginal, Jang Jun Hwan à la sagesse pour un premier film d'utiliser des recettes éprouvées et efficaces plutôt que de miser sur une surenchère hors de propos, comme l'utilisation des plans serrés sur la victime pour amener le spectateur a une complicité avec le bourreau. Le vrai problème du film concerne sa fin qui va à l'encontre au moins en partie de ce qui a été présenté au préalable en le replaçant l'ensemble dans une perspective différente. Sans être une faute de goût, ce choix atténue quand même considérablement la portée du film en l'ouvant dans une direction qui n'est pas pour autant vraiment exploitée. Quoi qu'il en soit, les qualités générales du film suffisent à rendre sa vision d'autant plus impérative que les oeuvres à message deviennent une denrée rare.
Attention, Critique comportant de nombreux Spoilers
Bide en salles à sa sortie en Corée malgré un accueil critique favorable, Save the Green Planet est le film coréen de 2003 favori de Park Chan Wook et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Outre le talentueux Shin Ha Gyun, le film partage avec Sympathy for Mr Vengeance le fait de prendre comme nœud central de son intrigue un kidnapping, un scénario ancré dans la réalité politique de la Corée contemporaine et le goût pour l’humour sur des situations extrêmes. Et il partage avec Oldboy des vélléités de mélange des genres, un désir de coup d’éclat visuel ainsi qu’un goût prononcé pour la citation. Du coup, le film risque de prêter le flanc aux reproches d’esbroufe, de tape à l’œil et de violence gratuite et racoleuse. Et a de fortes chances de susciter des avis très tranchés. Jang Jun Hwan est-il un futur grand cinéaste ou un faussaire pas dénué de talent mais promis à l'essoufflement artistique ? Petit état des lieux.
A l’instar du Park Chan Wook cuvée 2003, Save the Green Planet a très souvent recours à la citation. Usage globalement cohérent d’ailleurs : à de très rares exceptions où la citation se limite à la reprise d’un élément visuel - le décor de la cachette évoquant les ambiances d'un Seven ou d'un Fight Club et ses mannequins de cire renvoyant à Orange Mécanique-, Jang Joon Hwan cite pour détourner dans un but satirique. Le nom de scène de Soo Ri est ainsi Gelsomina, identique à celui de l'héroine de la Strada. Mais loin du touchant clown fellinien, elle est la complice du projet cruel de son compagnon. Le récit retraçant une vision alternative de l'histoire de l'homme reprend quant à lui des plans de 2001. Et l'arrivée de l'OVNI à la ET/Rencontres du Troisième Type y est moins bienveillante que chez Spielberg. Enfin, un dialogue de Reservoir Dogs y est transformé en commentaire sur les rapports de classe en Corée. Détournement qu’on retrouve dans le score du film : le film utilise très bien un morceau déjà bien réutilisé par John Woo dans Face/Off, cet Over the Rainbow en provenance du Magicien d'Oz. Il donne au film un ton triste lorsqu'il est employé dans sa version classique ou porte son énérgie dans sa version punk.
Rayon mélange des genres à l’asiatique, le film se pose aussi là en alternant film de prise d'otages, film d'anticipation, ambiance de série policière, satire sociale, drame et thriller noir. Les ruptures de ton que cela implique sont en outre bien négociées. Là où son collègue Park Chan Wook tente de pousser à l’extrême la noirceur tout en la désamorçant immédiatement par des effets humoristiques très appuyés, les ruptures de ton chez Jang Jun Hwan sont à la fois brutales et négociées avec un grand naturel. Plus classiques, elles ont le mérite de ne jamais être bancales. Le côté pasticheur de ce qui se fait ailleurs des scores coréens fonctionne du coup bien ici parce que correspondant à ce mélange des genres : un coup de synthétiseurs évoquant Bernard Hermann ici, un passage à la John Williams par là... Visuellement, le film n’est par contre peut être pas aussi inventif que le prétendent ses défenseurs les plus ardents. Il n’évite en effet pas la fausse audace ou le tape à l’œil. Pour le premier, on a la caméra se rapprochant frénétiquement d'une pilule d'amphétamines pour annoncer son potentiel "explosif" en forme d’effet archiappuyé digne du Lynch de Sailor et Lula. Pour le second, on a certaines accélérations faisant dans l’épate et un usage pas toujours convaincant de la caméra à l’épaule. D’un autre coté, sans être novateurs formellement, les arrêts sur image pour présenter le kidnappé fonctionnent bien. De même que l'usage du ralenti pour souligner le caractère dramatique d'une scène ou de façon plus décalée lorsque l'équilibriste s'entraîne dans la cachette au son de Besame Mucho. Au final malgré les limites formelles mentionnées l’énergie à l’oeuvre emporte le morceau. Et on sent un regard mi-affectueux mi-moqueur du cinéaste sur ses personnages.
Venons-en désormais à la dimension de satire du film. On pourra trouver trop cruels les supplices infligés à Kang Man Sik rivalisant de cruauté afin de tenter de lui faire "cracher le morceau" sur ses intentions de destruction de la terre. Mais ils démythifient le prétendu "sauveur" en le renvoyant à son "humanité" primitive et cruelle. On pourra trouver ça trop appuyé mais le grossissement du trait fait partie de la satire et de ses limites. Le film ne se contente pas en effet de pointer la cruauté de l'homme à l'égard de son prochain ou de la planète terre ou de démythifier tous ceux qui se proclament sauveurs de l'humanité. A un propos déjà puissant dans le contexte du programme nucléaire nord-coréen s'ajoute une satire du désir de quart d'heure de célébrité de Byeong Gu, de la connivence police/monde des affaires et de l'arrogance de la haute société coréenne vis à vis du peuple. Aucun personnage n’étant vraiment ridiculisé ou diabolisé, le film évite un cynisme rigolard qui annihilerait son propos. Propos qui ne sombre pas dans le simplisme ou la philosophie de comptoir. Même si le désir d'étonner en permanence le spectateur se fait au détriment de son développement.
Le film contient donc beaucoup de raisons d'enthousiasme tout en suscitant une certaine déception face à ce qu'un tel sujet aurait pu donner en des mains un peu plus expertes et assez mégalomanes pour mener de front ambition visuelle et thématique. Il révèle en la personne de Jang Jun Hwan un cinéaste de talent, talent parfois gaché à coup d’esbroufe formelle. Save the Green Planet se met ainsi à sentir le film de petit malin en devenir. Ce qui ne nous empêche pas en attendant la suite avec autant d'espoirs que de craintes de savourer cet objet rafraichissant tour à tour drôle, triste, surprenant et malaisant.