Ghost Dog | 3.75 | Un film nécessaire, émouvant et douloureux |
MLF | 3.5 | |
Ordell Robbie | 3.75 | un beau plaidoyer conre l'oubli |
Xavier Chanoine | 3.5 | Touchant et réussi : un récit sensible efficace. |
Loin de ses grandes fresques samouraiesques, Kurosawa signe, pour ce qui restera son avant-dernier film, une œuvre très intimiste puisque retraçant les états d’âme d’une famille japonaise mais également une œuvre à dimension nationale, et même universelle, puisque se penchant sur l’un des plus grands traumatismes de l’humanité : les 2 bombes atomiques lancées sur le Japon en 1945.
Pourtant, l’histoire de Rhapsodie en août commence sur un tout autre sujet : les 4 cousins et la grand-mère reçoivent un jour une lettre d’un parent oublié mourant, vivant à Hawai et se réclamant grand-frère de la grand-mère. Ce dernier souhaite revoir sa sœur avant de s’éteindre. On s’attend donc à une confrontation de culture entre une partie de la famille à 100% japonaise et ce frère qui a épousé une américaine ainsi que sa culture. Cependant, jamais on ne quittera Nagasaki, et cette lettre va faire surgir d’autres vieux démons enfouis dans la mémoire et dans l’inconscient.
Pendant tout le reste du film, Kurosawa va s’attacher à démontrer les dégâts qu’a occasionné cette bombe : dégâts physiques d’abord (100 000 morts, sans compter tous les survivants qui ont subi de plein fouet les effets pervers des radiations – la grand-mère est chauve-…). Dégâts moraux et psychologiques ensuite, puisque la vie de cette femme est foutue, entièrement dévouée à la célébration de son défunt mari, malheur des enfants et petits-enfants à qui il manque un repère. Kurosawa sait très bien que la faute en revient tant aux USA qu’au Japon, la seule chose est que 45 ans plus tard (on est en 1990), la bombe continue encore de faire des ravages alors qu’elle devait juste stopper dans la seconde toute hostilité.
Grâce à ce film, Kurosawa fait l’état des lieux psychologique de ses compatriotes, et constate que les souffrances endurées enfouies au plus profond de chacun sont prêtes à ressortir à la moindre petite étincelle. Richard Gere en anti-héros, ainsi que la dernière scène où la grand-mère revit la scène du « Grand Eclair », sont enfin 2 facteurs très émouvants qui font d’autant plus aimer le film.
Un des premiers bonheurs de Rhapsodie en Aout est l'impression que Kurosawa croit de nouveau en l'homme et en ses compatriotes. Tout le film respire la conviction qu'après sa mort une partie des idéaux qu'il a défendu pourra etre transmise aux jeunes générations. Car ici, d'une façon beaucoup plus affirmée que dans Reves, la prise de conscience de la violence faite à l'homme et à la nature est du coté des enfants. Progressivement, un élément faisant partie de leur capital culturel (Hiroshima et Nagasaki) qui existe dans leur esprit de façon lointaine va enfin acquérir un sens pour les enfants dans le film. La question du sens d'un élément culturel est centrale dès le début du film dans le magnifique plan d'intérieur montrant la grand-mère accroupie avec ses petits-enfants: ces derniers donnent l'impression que la fameuse station assise à hauteur de tatami est quelque chose qu'ils font automatiquement sans comprendre sa portée (notamment dans l'histoire du Japon paysan). Au rayon paradoxe, les enfants refusent dans un premier temps de voir Clark alors qu'ils arborent en permanence des t-shirts à l'effigie d'équipes sportives américaines, symbole d'une certains américanisation du Japon traitée avec brio par le cinéma japonais depuis des décennies. Dans le meme registre, les photos de la maison de Clark et de la cadillac au début du film incarnent un cliché de carte postale d'une American way of life fascinant les enfants. Quand ces derniers se balladent dans le centre de Nagasaki, ils voient le monument aux morts comme l'incarnation de l'horreur atomique tandis qu'autour d'eux des touristes adultes le photographient comme ils prendraient des clichés de la Tour Eiffel. Ce qui n'a plus de sens pour les trentenaires ayant eu la tete dans la guidon du profit tout au long du Japon des années 80 devient essentiel pour une nouvelle génération n'acceptant plus le sacrifice individualiste (cette génération des années 90 au Japon rejettera d'ailleurs le modèle du salaryman 80's). Et c'est ce rend la vision de Kurosawa moins noire que ne pouvaient l'etre celle d'un Kagemusha ou d'un Ran.
Une autre des beautés du film est la collision d'éléments kurosawaiens avec des éléments plus proches du cinéma d'Imamura. Déjà, le fait de choisir Hiroshima comme sujet ne peut qu'évoquer au spectateur le souvenir de Pluie Noire sorti deux ans avant. Les enfants ont un jeu d'acteur qui capte la tension diffuse du quotidien et l'attention du film aux gestes journaliers, la proximité de la caméra avec les enfants sont proches du cinéma d'Imamura. Par contre, le cadrage des intérieurs comme une scène de théatre (qui change de l'académisme de la réalisation de certains passages de Reves), la théatralité des attitudes de la grand-mère et des autres adultes de la famille relèvent du cinéma de Kurosawa. A noter qu'un choix inquiétant sur le papier se révèle payant: Richard Gere mele habilement enthousiasme du touriste américain quittant son pays et gravité retenue. A l'instar d'autres héros kurosawaiens, Clark est un homme de l'action: c'est lui qui décide de retourner voir la grand-mère au pays alors que les enfants auraient préféré partir à Hawai. Son humanisme se manifeste dans l'effort qu'il fait pour suivre les rites de recueillement, seul chemin pour partager la détresse de sa famille. Le personnage de la grand-mère est exemplaire d'humanisme et de refus de l'oubli: meme si elle a pu avoir du ressentiment vis à vis des Etats Unis(historiquement compréhensible vu que l'armée de ce pays a essayé de cacher l'horreur d'Hiroshima au peuple japonais durant les années d'occupation), elle a compris avec l'age que le vrai responsable était la course à la guerre (écho aux catastrophes nucléaires des années 80 qui prolonge la vision de Reves). Mais néanmoins, un éclair (écho au fameux oeil de l'éclair -le nuage atomique auquel les plans d'ouverture du film se réfèrent-) ravivera le souvenir de l'horreur dans un final superbe.
Avec Rhapsodie en Aout, Kurosawa réalisait un film réussissant à lier fortement l'intime, le Japon profond et l'universel. Si le film est plus modeste en apparence que ses trois précédents, il est néanmoins très émouvant.