Mauvais goût et narcissisme américain 
Nanking est un documentaire à sensation - d'aucuns trouveront que l'expression est contradictoire, j'en fais partie, et c'est pour cette raison que ce film est mauvais. Le sujet n'est pas tant les massacres et exactions commis par les Japonais sur les Chinois au cours de ce que l'histoire a retenu comme le "massacre de Nankin", mais les Américains qui ont sauvé les vies de dizaines de milliers d'habitants à ce moment-là - des Schnindler américains, en quelque sorte, et le film de Spielberg n'était déjà pas sans reproches idéologiquement. Ici, la documentation autour du massacre ne semble là que pour valoriser l'héroïsme des sauveteurs.
Trois sortes de sources se combinent dans le film : images d'archives, noir et blanc troubles, images de foules ; témoignages directs de survivants ; lecture de lettres laissés par les Sauveteurs. Si les images d'archives sont toujours intéressantes et forcément porteuses d'émotion et les témoignages directs franchement poignants - qui ne frémirait pas à l'évocation du souvenir de viols collectifs, de tortures et d'assassinats (pour le sensationnel, mention spécial à la femme coupée en deux dans le sens de la longueur de l'entre-jambe à la tête) - , la lecture des lettres présente un défaut rédhibitoire : elle est faite par des acteurs, vaguement déguisés style ancien (cheveux exagérément peignés-gominés et costumes austères), qui, voulant faire pleurer les spectateurs, s'humidifient les yeux en permanence et agrémentent leur lecture de trémolos dans la voix - tout à fait déplacés. Outre que ces scènes réclameraient un minimum d'informations sur les sources dans un documentaire qui se respecterait (quelques sur-titrages avec la date des lettres ne seraient pas de trop, par exemple), l'effet reconstitution, ou émotion sur un plateau, donné par les lectures "jouées" fait déraper le document dans le mélodrame, mélodrame raté, qui plus est, puisque l'humidité dans les yeux et les trémolos dans la voix des acteurs ne sont pas les garants de l'émotion du spectateur, ils peuvent même en être l'antidote. Trop d'émotion tuant l'émotion, ces lectures indécentes de pathétique dégoulinant gâchent les témoignages authentiquement poignants des survivants authentiquement édentés.
La forme vient ainsi achever de massacrer un sujet déjà délicat - la célébration de l'héroïsme américain par des réalisateurs américains. Les Américains eux-mêmes semblent avoir apprécié cet objet, si l'on en croit le site "Rotten tomatoes" dont la moyenne des avis s'élève à 7,8/10. Je ne peux qu'espérer que ce film ne viendra pas occuper inutilement les écrans français.
