Vacarme silencieux
Au début des années 2000, on aurait pu rapprocher l’œuvre du jeune réalisateur Soi Cheang d’une certaine mouvance néo-furieuse hongkongaise, celle qui regardait à ses débuts dans le rétroviseur ces illustres figures qui marquèrent l’Histoire du cinéma de catégorie III. En dépit de réalisations gentiment inoffensives et d’une volonté affichée d’aller plus loin dans la singularité (on pense à Edmond Pang, le plus talentueux de tous), Soi Cheang n’a jamais réellement convaincu, aussi bien dans la poussière et le sang (Dog Bite Dog) que dans le mélo-polar (Love Battlefield) ou la relecture d’un manga à succès (Coq de combat).
La fin des années 2000 marqua néanmoins sa collaboration avec Johnnie To, au sommet, pour un excellent film d’espionnage à la photographie marquée (Accident, présenté à Venise). Pour sa dernière réalisation en date, Soi Cheang met en scène le toujours très sympathique Shawn Yue, acteur capable de revêtir quinze costumes différents par ans, avec tout autant de réalisateurs. On extrapole, mais l’un des acteurs les plus prolifiques d’Hong-Kong était le choix idéal pour incarner Cheung, jeune flic motivé, formé par l’instructeur Lo (Anthony Wong) blessé par un passé mal négocié. Tous deux vont se mettre à la poursuite d’un fugitif débarqué de Chine continentale, remarquable conducteur récemment sorti de prison. Première contradiction qui sera l’essence même du film, Motorway trouve toute sa beauté non pas dans ses excès de vitesse, mais plutôt dans sa lenteur.
Lenteur que l’on peut évoquer comme le prolongement même du mental à l’exécution. Comme un disciple martial, c’est par l’équilibre et la lenteur de l’exécution que l’on apprend à mieux se maîtriser. Et l’excellente idée du film est de jouer constamment sur la maîtrise, aussi bien sur le plan psychique que sur celui de la motricité. Bien travailler son équilibre, sa garde, ses mouvements sont autant de techniques que Shawn Yue tentera de maîtriser, les mains sur le volant de ses bolides à l’ancienne. On est également bien loin de l’image ultra moderne que l’on peut avoir des voitures d’aujourd’hui, customisées et développant 500 bourrins sous le capot. Ici, berlines Audi et Nissan se partagent la vedette alors que l’on pourrait attendre bien autre chose. Mais là n’est pas l’intérêt, c’est dans sa lenteur, dans son attachement aux détails très précis que Motorway trouve ses plus beaux moments. Comme lorsque Tsui Hark filme le sabre, sa sonorité, la lumière qui s’y réfléchit de manière spirituelle. Il y a ce même art de la composition qui transparaît dans les plus belles scènes du film.
Et les plus belles séquences du film ne sont pas les plus impressionnantes visuellement. La course poursuite est filmée comme un duel moral et physique, plus qu’une compétition entre pur-sang. C’est-à-dire l’antithèse absolue d’un Fast & Furious, d’un Initial D pour ne citer qu’eux. La capacité à se dépasser, à démontrer combien les leçons apprises en compagnie du maître (le rapport maître à élève entre Shawn Yue et Anthony Wong est discret mais très clair) sont assimilées. Bien sûr, on reste sur une production Milkyway, autant dire que le cahier des charges est souvent rempli : les idées de mise en scène, elles sont là. Lors de l’entraînement, la caméra se focalise sur le véhicule à dompter et sur le maître à bord. On pourrait presque dresser un parallèle avec Judo (Johnnie To, 2004), dans sa manière d’aborder le contact. Autre beau moment, plus romantique, lorsque Cheung réalise un 360° autour de celle qui l’a fait craquer après une partie de billard. Aussi, Soi Cheang parvient à revisiter les codes du polar lors d’une formidable séquence dans un parking souterrain où Cheung et le traqué tentent de se mouvoir dans les moindres recoins sombres, non pas à pieds mais en voiture.
Malgré certaines faiblesses d’écriture, notamment sur le rapport trop distancié entre le personnage qu’incarne Shawn Yue et le pourchassé, la mollesse des échanges de tirs et surtout, la nullité des personnages féminins (une trop grande constante à HK), Motorway est du bel ouvrage atmosphérique. Les 6, 8 ou 10 cylindres placés en V ne sont pas synonyme de Victoire, mais malgré la production chaotique et des petits tics visuels pas toujours bien inspirés, Soi Cheang maîtrise son ouvrage et réussit, film après film, à proposer de réelles idées novatrices dans une production « locale » pas souvent exempte de tous reproches.