Une riche et intéressante biographie
Plus qu'une biographie de MISHIMA Yukio, c'est une véritable enquête d'investigation à laquelle
s'est attaqué Paul Schrader, scénariste attitré de Martin Scorsese (Taxi Driver, Last Temptation of Christ)
et réalisateur intéressant (le controversé Hardcore sur les snuff-movies, American Gigolo
avec Richard Gere, ou encore Affliction plus récemment). Nul doute en effet que si les caméras
et les journalistes à show de CNN avaient assisté en ce 25 novembre 1970 en direct du QG de l'armée
japonaise à l'acte terroriste et suicidaire auquel s'était livré le plus grand écrivain nippon
de sa génération, ils auraient conclu à la hâte que ce pauvre homme avait complètement perdu
les pédales et auraient émis des hypothèses tout à fait fausses à son sujet.
C'est donc une entreprise aussi courageuse qu'intéressante que de comprendre le pourquoi
de ce mini-putch qui s'est terminé par le seppuku de Mishima (soit le planter du couteau
dans le bas-ventre jusqu'à ce que mort s'ensuive), en remontant à la source, c'est-à-dire son
enfance. Chapîtrée en 4 actes, la vie de Mishima peut se résumer à la recherche de la fusion
entre l'art, celui qu'on compose en sous-sol seul dans un bureau sombre, une plume à la main, en ayant
conscience que les mots peuvent changer l'univers, et l'action, celle qui fait se sentir vivre,
l'action politique ou physique que l'on mène à plusieurs en plein jour, en plein soleil. Le but
de Mishima était donc de réunir le sommet ensoleillé symbolisé par l'action et les bas-fonds
ténébreux symbolisés par l'art, afin d'atteindre la beauté pure.
Il était donc persuadé qu'en s'adressant à l'armée japonaise, dernier bastion théâtral
des traditions de son pays, lui, le nationaliste, provoquerait une rébellion, un soulèvement
de ses troupes et renverserait le pouvoir capitaliste de son pays pour restaurer la puissance de
l'Empereur. Un projet fou qui le faisait vivre depuis des années. Mais devant l'incompréhension
des soldats, il finit par admettre que les mots n'ont parfois aucune emprise et que c'est en
se faisant hara-kiri qu'il atteindra la beauté et brûlera ses ailes dans le soleil.
Le film de Schrader est à la fois très convaincant et très agréable à suivre, notamment
grâce au thème musical ultra-célèbre (diing, dainng, doonng) de Philipp Glass, mais aussi
grâce à sa narration complexe oscillant entre présent fictif, nombreux flash-back et scènes
théâtrales de plusieurs de ses romans explicitant l'âme de Mishima. Ce n'est pas forcément
évident à comprendre du premier coup, mais cela va de paire avec la complexité du personnage
qui nous est présenté. Ken Ogata interprète de façon formidable le grand écrivain devenu culte
au Japon, et nous pousse à lire les oeuvres de son personnage en nous donnant pour un bref instant
l'âme d'un poète.
La plume est plus forte que l'épée
Destin hors du commun que celui de Mishima.
L'artiste lié à son oeuvre dans une biographie intelligente, innovatrice et en même temps sobre.
Ken Ogata joue merveilleusement bien.
Un film beau, original et étrange à l'image de l'artiste à qui il rend hommage.
Réservé à un public plus "théatreux"
Le parti pris de Schrader de raconter la vie de Mishima à travers une mise en scène très théâtrale (unité de lieu et décors plus symboliiques que réalistes par ex) d'extraits de son oeuvre entrecoupés par la mise en scène de son propre seppuku peut en rebuter certains (même si la liaison fonctionne, cela peut faire penser à un film à sketches). Cela rend donc ce film relativement hermétique et c'est pourquoi je ne lui ai pas mis une meilleure note. Ceci dit, le travail est excellent et à voir pour qui s'intéresse à la mise en scène (sans oublier la composition de Glass) ou au personnage Mishima. En résumé, un très grand film non conventionnel qui ne s'adresse pas à tous mais intéressant dans tous les cas.
Mishima ou le clou qui dépasse
Mishima ou le clou qui dépasse pour paraphraser un essai paru il ya quelques années sur la société japonaise contant comment l'individu ne doit pas s'extraire de la masse et se distinguer autrement que par sa normalité.Mishima était tout le contraire de cela,cherchant tout au long de sa vie à prouver son identité,que ce soit par sa différence de sexualité(voir son chef-d'oeuvre Les Amours Interdites), par sa vie d'écrivain ou d'homme d'action comme il se plaisait à dire dans les dernières années de son existence.
Le film de Schrader se rapproche d'une enquete pour tenter de percer le mystère Mishima :mais il est réalisé avec une telle ambition artistique qu'il en devient un fascinant spectacle,que l'on connaisse ou pas l'oeuvre de Mishima.Les 3 parties du scénario ne se suivent pas,elles s'imbriquent tout au long du déroulement du sujet pour rendre compte de la personnalité protéiforme du maitre japonais.Idée de génie du réalisateur ,tant dans la cohérence que pour l'esthétique du film:chaque partie se reconnait dés qu'elle apparait à l'écran.Ainsi les scènes d'enfance et de jeunesse tirées du roman "Confessions d'un masque" seront en noir et blanc servies par une voix off, les préparatifs du suicide qui constituent le présent du film se verront attribuées des couleurs pales et une musique plutot martiale ,quant aux trois extraits de l'oeuvre ,à savoir "Le pavillon d'or","Chevaux échappés" et "La maison de Kyoko",nous auront droit à les admirer dans des sublimes jaunes éclatants,des rouges explosifs,bref une symphonie de saturation dans des décors stylisés de théatre pour bien les distinguer du réél de l'auteur...Une merveille visuelle!
La musique de Philip Glass pour Mishima est rapidement devenue un classique absolu,souvent utilisée pour des génériques TV ,mais ne prend toute sa puissance qu'à la vision des images de Schrader,créant un ensemble étourdissant de lyrisme et de noblesse.
Que dire de l'interprétation sinon que Ogata Ken EST Mishima,dés qu'il apparait il vampirise l'écran et sa crédibilité pour le role est totale. Il restitue à merveille les paradoxes de l'écrivain,sa modernité aussi,surtout en tant que manipulateur doué des médias et ce jusqu'au final incroyable...
Mais les acteurs des parties théatrales sont tous excellents ,du bégue au jeune militaire idéaliste, sans oublier les collaborateurs du coup d'état manqué...
S'il est un film qui réussit à rendre compte de l'oeuvre d'un écrivain et de sa vie d'homme ,c'est bien celui-là,dans un genre délicat qui a plus connu d'échecs et de trahisons que de pleines réussites.D'autant qu'avec Mishima les collusions vie-oeuvre étaient de l'ordre de la fusion totale,jusque dans la mort,pouvant amener un mélo hors-sujet ,un ratage total.
Heureusement le pari risqué de Schrader et son producteur Coppola nous donne ce bijou esthétisant...mais pas seulement,car toujours profond et interrogateur,Mishima est aussi un film intellectuel au sens positif du terme, une question posée sur la création et ses conséquences comme ses causes.
Si comme ce fut le cas pour moi,ce film vous donne envie de découvrir les ouvrages de l'écrivain nippon,et au-delà de toute la littérature du pays du soleil levant,alors il aura parfaitement rempli sa mission, s'il fallait lui en trouver une, autre que le plaisir purement cinématographique qui est immédiat...
Bon film...
... pour les inconditionnels de Mishima Yukio.
La façon d'aborder la vie de Mishima par les frères Schrader est intelligente et le résultat à l'écran est plutôt original. Narrativement, on passe du jour de la mort de Mishima à des flashbacks sur des moments de sa vie et surtout à des passages adaptés de ses bouquins, le tout divisé en quatre chapîtres comme l'indique le titre du film. Chacune des trames narratives sont présentées différemment chromatiquement parlant : usage classique du noir & blanc pour le passé, couleurs fades pour le présent et esthétique pop-art flashy/minimaliste (?) à la Suzuki (ils ont dû se gaver de ses films, les Schrader) pour les passages tirés des livres. Tout ceci marquant au passage la différence entre réalité et fiction.
Si j'ai assez apprécié la mise en scène de Paul Schrader, en revanche, je doute que le propos du film, présenté aussi hermétiquement (parceque c'est bien beau, mais faut avoir lu les bouquins de Mishima et connaître un peu le personnage, ses idéaux, etc... sinon larguage assuré), puisse pleinement toucher le spectateur "du dimanche".
Pour ce qui est du score de Philip Glass, il est évidemment énorme, mais utilisé pompièrement dans la première moitié du film (problème récurrent avec Glass... c'est pareil dans "The Hours", par exemple).
En tout cas, la mort de Mishima à l'écran est mémorable.
A noter la participation de Sawada Kenji ! Et bien sûr, Ogata Ken hérite d'un rôle immense et s'en sort bien.