Anel | 2.5 | |
Xavier Chanoine | 3 | Repartir de zéro |
Quatrième film en date du cinéaste chinois Wang Chao, Memory of Love développe une nouvelle fois une thématique inhérente à l’être humain, à savoir la force de l’amour. Si Zhu et Li Xun vivent depuis quelques temps une relation froide, distante, loin de leurs premiers amours. Au cours d’une réunion entre amis, Si Zhu s’éclipse dans la salle de bain pour téléphoner à son amant Chen Mo. Ils s’aiment et désirent se voir, rapidement, le plus tôt possible. Malheureusement un concours de circonstance va les entraîner tous deux dans un accident de voiture. Amenés à l’hôpital où travaille Li Xun, leur relation secrète n’est plus qu’un mauvais souvenir : les deux amants ont survécu mais la mémoire de Si Zhu s’est volatilisée, un retour de trois ans en arrière l’empêche de poursuivre sa relation avec Chen Mo qui n’est plus qu’un simple inconnu parmi d’autres. Pourtant, même après avoir découvert cette liaison secrète, Li Xun reste amoureux de sa femme et souhaite son bonheur plus que tout. Son objectif est à présent de reconstruire pas à pas la relation qu’elle entretenait jusque là avec son amant, mais le choix de Si Zhu est tout autre : tiraillée entre son amour pour Li Xun et la reconstruction de ses souvenirs, la jeune femme devra faire un choix.
L’intérêt du film est d’évoquer le trio amoureux, la trahison et la force de l’amour sans accabler les personnages ou les montrer du doigt. Le recul dont dispose Wang Chao permet au film d’éviter ainsi la complaisance dans le jugement. Le cinéaste s’oriente davantage vers la compréhension et la recherche de solutions plutôt que la critique facile, et avec un thème aussi universel que la trahison, développe des idées de cinéma jusque là pratiquement inédites dans son oeuvre si appréciée des festivaliers. Le film étant avare en dialogues, reste dans son silence sans pour autant négliger le langage cinématographique et la symbolique des objets. Une attitude, un regard ou un objet symbolisant l’amour valent sans doute plus qu’une ribambelle de dialogues. Lorsque Si Zhu et Li Xun marchent en montagne, elle n’est pas insurmontable, à l’image de la reconstruction de leur amour. Quelle autre preuve pour symboliser la renaissance de leur amour ? Le mouchoir que sort Li Xun, offert par Si Zhu lorsque leur amour était alors au plus fort. Ces éléments contribuent ainsi au souvenir, à la recherche de soi. Cependant, Memory of Love va plus loin qu’un simple amour à reconstruire puisque Li Xun souhaite que sa femme retrouve la mémoire pour vivre avec l’amant qu’elle désirait encore quelques jours plus tôt avant l’accident. Une extraordinaire preuve d’amour qui semble toucher la principale concernée, désireuse d’oublier le passé.
Li Xun poussera sa femme à aller directement vers son ancien amant, comme pour affronter à la fois la personne et son propre amour. Une sorte de pèlerinage vers les lieux qui ont forgé l’amour de chacun. L’amour dépassera t-il les simples barrières de la mémoire ? Wang Chao semble trouver un joli rythme de croisière, film après film. Mais ce qui démarque Memory of Love des réalisations antérieures du cinéaste, c’est l’appartenance des personnages au milieu aisé, une donne qui n’incite pourtant pas à Wang Chao à basculer dans un style ouvertement différent. Si la rigueur de ses cadrages et les contrastes de sa photographie participent à immerger le spectateur dans une ambiance respirant bon le malaise, les silences pesants et les vrombissements en sourdine alourdissent les sens, mettent un point d’interrogation sur l’avenir des trois personnages. Les dominantes bleu cliniques contrastent avec la lumière en montagne, un jeu de couleur et de clarté évoquant les sentiments de plus en plus sûrs de la jeune femme pour son mari. Une noirceur présente au début qui s’évaporera à mesure que la mémoire –sélective- refait surface. On pourra toujours trouver à redire face à la raideur parfois insupportable de Li Xun, interprété par Li Naiwen, mais l’interprétation pleine d’épure de Yan Bingyan en femme désireuse de se retrouver allège le film comme un pas de danse de flamenco entamé ici et là par deux êtres passionnés de danse. Rigoureux même dans sa froideur apparente, Memory of Love est la démonstration que les preuves d’amour ne se perdent pas avec le temps, en dépit des mutations nombreuses et rapides du pays.