Elise | 4.25 | La ligne jaune |
"Ceci n'est pas une histoire vraie" Voilà par quoi débute Maundy Thursday ; c'est plutôt singulier que cela soit précisé au début du film. En général, il s'agit d'un petit paragraphe que personne ne lit plus à la fin des crédits, mais s'ils ont voulu le dire dès le début, c'est que très franchement, il y a anguille sous roche, et que peut-être, le réalisateur ne veut pas que l'on fasse le rapprochement avec une histoire qui pourrait se révéler similaire, sans doute à cause du sujet polémique du film. En fait, Song Hae-Seong tire son film du roman éponyme de Song Ji-Yeong ("Nos moments de bonheur" est le titre coréen), qui raconte l'histoire d'un jeune garçon, Yun-Su, dans le couloir de la mort, condamné pour un viol et quatre homicides. Celui-ci demande un jour a rencontrer la fille qui a chanté à la TV l'hymne national lors d'un évènement dont on ne précise pas le nom (d'ailleurs dans tout le film, on ne donne aucune date). Cette jeune fille, qui a tenté par trois fois de se suicider, accepte de rencontrer le garçon, afin d'échapper à sa mère. S'en suit alors l'histoire d'un orphelin, ayant eu une vie de malheur, qui rencontre une fille riche plus malheureuse que lui...
En Corée, la peine de mort n'est toujours pas abolie. Il n'y a pas eu d'exécution depuis 1998, à l'arrivée de Kim Dae-Jung au pouvoir (qui lui-même avait été condamné à mort sous la dictature de Park Chung-Hee pour propos pro-communistes), mais la constitution et la loi de sécurité nationale prévoient toujours 104 cas d'exécution capitale. En 2004, 58 personnes attendaient encore dans le couloir de la mort. La Corée ayant signé plusieurs traités internationaux contre la peine de mort et les traitements inhumains, elle n'est plus en mesure d'exécuter ses condamnés si elle veut respecter les traités. Depuis 2001, des projets de lois pour supprimer la peine de mort sont en cours de discussion, mais sans arrêt bloqués par la Commission Justice et Législation du Parlement. Pour ceux qui souhaiteraient plus de précision, je recommande de visiter le site francais sur la peine de mort. Donc, Maundy Thursday, sans donner de date, se situe forcément avant 1998, puisqu'il n'est absolument pas question dans le film de condamner quelqu'un sans l'exécuter. On assiste donc aux derniers jours d'un condamné à mort, qui au début ne souhaite que mourir, mais qui va de plus en plus chercher à vivre, attendant le jeudi, jour de sa seule rencontre avec le monde extérieur. On voit ainsi comment vivent les condamnés, numérotés avec une étiquette rouge pour les reconnaitre au sein de la prison. Une chose est tout de même choquante, outre la méthode de mise à mort (la pendaison, erf !), c'est la volonté de donner aux prisonniers une raison de vivre avant de les tuer. Le meurtrier arrive en prison avec la ferme intention d'attendre l'heure de sa mort, voire à l'avancer si possible, et il se retrouve confronté à une rencontre qui va changer sa vision ; mais pourquoi ? Il va mourir. Sans doute pour préparer le prisonnier à affronter sa responsabilité sous un autre angle ; en effet, il doit se repentir et aller sereinement vers sa fin, plutôt que partir l'âme lourde et dure.
A coté de ça, on suit l'histoire dramatique de Yu-Seong, la fille qui vient rencontrer Yun-Su à la prison. Issue d'une famille riche, plutôt mignonne, elle a pourtant tenté de se suicider trois fois, au grand désarroi de toute sa famille qui ne comprend pas son acte. On sait juste que ça a un rapport avec sa mère, et au cours du film, l'incident tragique qui a modifié le cours de sa vie se dévoile. Mais elle ne le dit pas à n'importe qui ; elle n'en parle qu'à une personne : Yun-Su, car il est le seul à pouvoir garder le secret. Mais aussi, c'est parce que déjà s'est établi une relation particulière entre les deux individus qui ont connu la plus grande tristesse possible dans leur vie, et se raconter leurs histoires leur permet à chacun de surmonter leur épreuve. Beaucoup de flashbacks sont utilisés dans le film, mettant en image le récit de chacun d'eux ; très sobres, ils ne dérivent jamais de ce que le personnage serait amené à raconter ; donc pas mal de détails sont occultés, allant directement à l'essentiel selon le narrateur. Par exemple, Yu-Seong ne raconte pas ce qui lui est arrivé, elle raconte ce qui s'est passé juste après avec sa mère pour qu'elle la haïsse depuis ce jour.
Comme pour les flashback, toute la mise en scène est plutôt sobre. Pas de fioriture ; et surtout, le réalisateur ne cherche pas à faire pleurer le spectateur avec des scènes lacrymales trop exagérées ; évidemment, il était difficilement possible de l'éviter pour la scène finale, mais ce n'est pas agaçant comme lorsqu'un réalisateur cherche à faire forcément pleurnicher le spectateur tous les quarts d'heure. Le scénario est bien travaillé et les interprètes sont vraiment attachants. Juste une chose bizarre ; soit Lee Na-Yeong interprète un personnage bien plus âgé qu'elle, soit Kang Dong-Won a un rôle plus jeune, mais la différence d'âge annoncée (au moins 5 ans) entre les deux ne se voit vraiment pas (forcément, ils n'ont que 2 ans de différence). En tout cas, même si Kang Dong-Won me parait pour une fois vraiment crédible, c'est surtout Lee Na-Yeong qui m'épate une fois de plus. Cette actrice est vraiment une révélation, d'une part parce qu'elle tourne à chaque fois dans les bons films (même Teach me English a un certain charme), mais surtout parce qu'elle se donne à fond pour ses personnages, afin de les rendre crédibles. C'est la seule actrice que je peux imaginer en vraie sans en voir un personnage de film, tellement ses rôles semble coller à la réalité. Il y a vraiment un fossé entre elle et les actrices/rôles du style Sassy Girl qui émergent un peu trop.
Bref, gros petit film que ce Maundy Thursday qui propose un drame bien au dessus des mélodrames pour ados qu'on voit beaucoup en Corée. Il va être bien difficile de l'égaler dans le genre, non seulement pour son sujet politique sobrement présenté mais aussi pour son coté humain profond.