Ghost Dog | 3.25 | La condition humaine |
Love is the Devil n’est pas la première tentative de mise en scène d’un peintre célèbre, et ne sera pas la dernière non plus. Pourtant, rarement un portrait de peintre (Francis Bacon) aura été autant déconnecté des propres peintures de son auteur et même de la peinture en général : aucune œuvre n’y est présentée, et on voit très rarement le maître au travail. Mais paradoxalement, ce détachement volontaire aidera plus efficacement le spectateur à comprendre la signification et le contexte des œuvres de Bacon lorsqu’il les admirera dans des expos ou sur Internet par la suite. Maybury a en effet choisi d’exposer le côté morbide et macabre de la personnalité du peintre anglais, magnifiquement incarné par un Derek Jacobi tour à tour sympathique et inquiétant, passionnant et écoeurant. Sa rencontre avec George, un cambrioleur atterri par hasard chez lui, est l’occasion pour lui de disserter sur la condition humaine et d’exposer ses théories décalées sur la vie et la mort. Bacon se dit optimiste de nature, mais lorsqu’on l’entend soutenir que la vue de cadavres démembrés est poétique, on comprend que ce n’est que pure provocation. Bacon aime passer du temps avec George, sa muse, mais affirme devant lui en public que « les sentiments ? Je préfère peindre 2 mecs qui baisent, on évite le baratin et on y va franco ». Un être étrange donc, solitaire et malsain, qui expulse sur la toile son analyse du quotidien avec rage et fatalisme. Pour George, difficile de suivre ; sa vie sera complètement bouleversée et lentement amenée jusqu’au bord du gouffre.
Pour tenter de coller à cette personnalité si particulière, Maybury comme Sakamoto ont su adapter leurs fonctions au mieux. Le premier joue sur la complexité du cadrage, en faisant ressortir les multiples facettes de Bacon à l’aide d’images reflétées dans des miroirs ou déformées par des objets, ainsi que sur des scènes de cauchemars couleur sang. Le second compose un score sous-terrain fleurtant parfois avec l’outre-tombe et qui, même s’il n’est pas aussi marqué et éblouissant que dans Furyo ou Snake Eyes, reste efficace et tout à fait cohérent avec le propos du film. L’harmonie créée par le trio Jacobi/Maybury/Sakamoto a donc tôt fait de nous convaincre que l’amour, c’est en effet parfois le diable…