Un péplum hongkongais bien d'chez nous !...
Un argument original : une légende bien d'chez nous
Une fois n'est pas coutume pour un drame historique de ce cru, l'histoire n'a pas pour fond un épisode célèbre de l'histoire chinoise ni l'extrait d'un classique romancé local mais une légende populaire française : l'énigme du masque de fer vue selon l'hypothèse reprise par Voltaire et Alexandre Dumas comme quoi il s'agissait du frère jumeau du roi Lois XIV. Et justement, il s'agira ici d'une adaptation de la version contée par Dumas dans "Le Vicomte de Bragelonne". Ca a peut-être l'air de rien, mais à cette époque et pour les Chinois que leur culture volontiers traditionaliste incline quasi-exclusivement à représenter leur glorieux passé ou au moins à faire référence à leur littérature, c'est quelque chose de suffisamment exceptionnel pour être souligné. Et étant donné justement cette connaissance littéraire que les Chinois ont de leur histoire, vient se poser un problème particulier : situer les faits proposés sans porter atteinte à l'intégrité historique de la grande civilisation chinoise... Le récit sera donc situé dans un petit royaume non défini et à une période antérieure à l'unification de l'empire (j'oserais avancer période des "Printemps et Automnes" ou même avant) ainsi que le suggèrent les décors et costumes utilisés.
Pour ce qui est de l'adaptation en elle-même...
Coté personnages, plutôt que de s'en tenir au récit de Dumas, le scénario en propose une adroite simplification, limitant le nombre de personnages en même temps qu'il fait porter sur ces derniers l'ensemble des rôles autrement partagés dans le récit original. Ainsi, on gagne en temps de présentation et en clarté sans pour autant perdre de l'intensité fondamentale du récit. Au niveau de l'histoire, si le principe du renversement du roi est conservé, il se trouve ici justifié d'avantage par un principe d'amélioration humaniste (petit discours politique en filigrane) plutôt que de vengeance a priori.
Le film
Pas grand chose à dire de particulier, hors le double rôle du roi et de son frère jumeau, aussi magistralement interprété par l'acteur coréen Shin Yong-Kyoon que parfaitement transparent techniquement. Pour le reste, c'est de la reconstitution historique à la Shaw Brothers : somptuosité des décors studio (+ quelques extérieurs bien venus), mise en scène classieuse rythmée par ce qu'il faut d'aventure, de romance et d'intrigue sans oublier quelques combats. Cela dit, pas de quoi fantasmer sur ce dernier point car en 1967 ceux-ci rappèlent d'avantage la lourdeur des péplums italio-US des années 60 que les prouesses hongkongaises à venir (souvenons-nous qu'en 1967, Liu Chia Liang et son camarade Tang Chia arrivaient tout juste à la SB). Bref, un ensemble tout à fait maîtrisé et qui selon moi soutient parfaitement la comparaison avec ses homologues occidentaux de l'époque, péplums et autres aventures de cape et d'épée.
Verdict
Au final, "The King with my face" est un film culturellement atypique, intelligemment adapté et luxueusement produit. De quoi constituer un divertissement des plus agréables et sans ennui que je classerais quelque-part entre un Choh Yuen et un Li Han Hsiang.
Note
Ce film est sorti la même année qu'un concurrent coréen du nom de "Cheolmyeon Hwangje"/Emperor Of The Iron Mask", avec semble-t-il juste 2 mois d'avance. Qui plus est, on trouve en tête de casting Shin Yong-Kyoon, une star coréenne de premier plan. Alors, hasard, cause ou conséquence ?... le fait est que cela est probablement significatif du climat de concurrence (et parfois de coopération) entre les grands studios asiatiques de l'époque, sans compter les productions occidentales par rapport auxquelles "The King with my face" se place en concurrent direct.
J'aime beaucoup ce film.