Oeuvre touchante sur un sujet n'étant pas exclusif à la société indonésienne
L'esclavage sexuel, le trafic humain, la montée des fondamentalistes et l'instrumentalisation de la religion dans la politique, tous ces sujets sont abordés par Ratna Sarumpaet, une activiste indonésienne pour la défense des droits de l'homme. N'étant pas réalisatrice de film, les limites narratives se ressentent rapidement dans l'organisation un peu incongrue de ces sujets au cours du film ; tout s'emboîte de manière assez bancale mais l'histoire reste néanmoins très forte et touchante. Jamila, une prostituée, se rend à la police après avoir tué un ministre ; alors qu'elle attend le verdict du procès, des groupes de manifestants se massent devant la prison, le tribunal, pour forcer les juges à prononcer la peine de mort. En parallèle, Jamila regrette de ne pas avoir pu empêcher sa famille de vendre sa petite soeur Fatimah à des traficants, et qui finit, semble-t-il, par mourir d'une overdose. Si l'histoire est très perturbée par des flashback et des parallèles cassant souvent la narration générale, le film jouit d'une qualité technique impressionnante. La photo et le cadrage sont exemplaire, mettant bien en valeur les personnages et leurs émotions, joués également pas des interprètes fabuleux, dont la fille de la réalisatrice (qui joue Jamila). Des scènes extrèmement intense parcèment le film, comme le face-à-face entre Jamila et la chef de la prison, ou la prière de Jamila avant son exécution. Si le montage laisse à désirer, on sent que Ratna Sarumpaet a su s'entourer d'un chef op talentueux qui donne à ses scènes la puissance des mots qui y sont arrachés. Pour son sujet fort et sincère, Jamila est donc un coup de coeur formidable, même si le film est assez inégal.
08 février 2010
par
Elise
Who Will Tell the President?
Ratna Sarumpaet est sans aucun doute l'une des femmes les plus influentes de l'Indonésie. Activiste politique extrêmement engagée, elle n'arrête pas de faire des remous et à ouvertement aborder des sujets extrêmement sensibles depuis son divorce hyper médiatisé de son mari musulman à la fin des années 1970, en passant par son talkshow télévisuel historique jusqu'à son opposition ouverte à la dictature de Suharto, qui lui a même valu de purger une peine de prison la veille de la fin de la dictature et à sa fille se faire enlever pour faire pression sur elle.
Elle n'a jamais cessé son combat et l'a toujours exprimé par des formes artistiques, notamment par le biais de pièces de théâtre devenues célèbres dans son pays.
Tel, le cas de "Jamila & the président", commandité par l'Association mondiale de la défense des droits de l'homme au début des années 2000 pour dénoncer l'esclavage sexuel des mineurs et qui se base sur un fait divers réel d'une ancienne prostituée ayant tué un haut fonctionnaire pour l'Etat. La raison de cet assassinat prendra lentement forme au cours d'un long flash-back revenant sur une enfance tourmentée de Jamila.
D2sireuse de faire du cinéma depuis les années 1980, Sarumpaet aura finalement franchi le cap en 2007 avec l'adaptation sur grand écran de cette pièce polémique. Elle mettra plus de deux ans à trouver tous les investisseurs assez courageux pour investir dans son projet et le film a failli ne jamais se faire suite au désistement à la dernière minute de son principal producteur, remplacé au pied levé par l'une des plus grandes maisons de production d'Indonésie (Multivision).
N'ayant jamais appris les mécanismes du monde cinématographique, Sarumpaet choisit de s'entourer du principal cast de sa pièce de théâtre (dont sa magnifique fille aînée Atiqah Hasiholan dans le rôle principal de "Jamila") et des meilleurs techniciens de l'actuelle industrie cinématographique…Ce choix est clairement à double-tranchant: oui, cast et moyens techniques sont aux petits oignons, mais ne donnent pas forcément le meilleur résultat.
Ainsi le cast semble comme figé, libéré du carcan rassurant du théâtre pour s'ouvrir sur des grands espaces. Ils se déplacent avec parcimonie et ne semblent jamais véritablement trouver leurs marques. Leur jeu ressemble également trop à leur représentation théâtrale, peu aidés, il est vrai, par des dialogues beaucoup trop "écrits" et pas du tout naturels.
Du côté de la technique, tout est "léchée", propre, trop propre. Les brushings des acteurs sotn toujours impeccables et même lorsque Jamila a les cheveux crasseux en prison (trop propre), les mèches désordonnées lui tombent impeccablement devant la figure. Sa cellule d'emprisonnement est certes sombre, mais même les tâches de crasse semblent appliqués à coups de pinceaux.
Du coup, l'hyper réalisme d'un sujet incroyablement dur s'en trouve amoindri; c'est comme si l'on regardait des photos de SDF's ou des enfants des pays du Tiers-Monde sur le papier glacé d'un "Marie-Claire", photographiés par Lagerfeld…Le film a de la voix, mais manque cruellement d'âme.
A noter, qu'il constitue l'entrée officielle à la présélection à l'Oscar du meilleur film étranger 2010…ironique en vue du sujet et sous le gouvernement indonésien actuel.