Brillant mais délicat
Plus difficile que d'habitude du fait d'une adaptation d'un bouquin de 1000 pages, L'Idiot est une oeuvre délicate à suivre. N'y cherchez rien d'autre que des émotions exprimées grâce aux attitudes, aux regards et aux dialogues.
Ici, l'idiot est un être touchant, presque emprunt d'une naïveté démoniaque le rendant pas si "idiot" que ça finalement. Il se dit idiot après un choc ressenti, entraînant une maladie du cerveau. Le personnage est alors timide certes, mais toujours bon quelle que soit les situations. Il aime une femme, provocante et autaine. Cette dernière veut l'épouser mais refuse finalement, ne voulant pas heurter la bonté de cet homme, fragile, presque insouscient. Des personnages hauts en charisme viendront se glisser dans cette affaire de coeur (sorte de "feux de l'amour" revu et corrigé par Kurosawa, apportant un degré de finesse remarquable) comme l'impressionant Toshiro Mifune dans un rôle de psychopate lui allant comme un gant.
Réalisation extrêmement froide, limite suintante (un Hiver terrible contrastant avec les bouffées de chaleur des personnages masculins), plutôt typique de Kurosawa, non sans rappeler "La légende du grand Judo" pour ses explications sous forme de pancarte narrant le passé du personnage idiot.
Il est difficile d'expliquer et de critiquer pleinement l'Idiot tant l'oeuvre est complexe. Le rythme est lent mais les émotions sont sincères, en résulte une performance d'acteurs et d'actrices admirable. C'est là la grande qualité de l'oeuvre de Kuro qui sombre dans un final non sans rappeler les plus grandes tragédies. On en ferait presque la gueule.
Esthétique : 4/5
Musique : 4/5
Interprétation : 4.5/5
Scénario : 4.5/5
Les + :
- Une interprétation diablement généreuse
- Une histoire d'amour tragique
- Un univers glacial...glaçant.
Les - :
- Demande du courage
Vaut mieux que sa réputation
Comment défendre L'Idiot, un Kurosawa souvent considéré comme raté? Les reproches des détracteurs du film concernent le caractère soi disant illustratif de la mise en scène et la direction d'acteurs soi disant ratée. Et aussi sur un scénario difficile à suivre.
Dire d'abord que l'Idiot est le produit de l'age d'or des studios japonais des années 50, de tout un star system (Toshiro Mifune, Setsuko Hara, Takashi Shimura, Masayuki Mori) mis au service de la vision d'un grand cinéaste. Louer le talent de transposition du classique dostoievskien dans un contexte japonais d'après-guerre (description de la misère, mariages arrangés, souvenir d'éxécutions de Mychkine transposés dans un contexte guerrier).
Mais surtout l'exploit du film est d'etre fidèle à l'univers de Kurosawa tout en restant fidèle à Dostoievski. Car il était normal que ces deux univers se rencontrent: les deux géants partagent une grande compassion pour l'homme y compris dans les moments où il faute et ont une oeuvre où action et réflexion interagissent constamment. Mifune/Rogojine représente un homme d'action pure, y compris dans ce qu'elle a de plus bassement terre à terre tandis que Mychkine/Masayuki Mori incarne un homme tourmenté qui cherche la bonté dans chaque etre. Et Nastasie/Setsuko Hara incarne la synthèse des deux, débauchée comme Rogojine mais à l'esprit aussi noble que Mychkine. Kurosawa intègre des touches personnelles en faisant intervenir des plans de chevaux à chaque tournant émotionnel du film ou en posant le sujet dès l'ouverture avec son superbe plan où le reflet de Mychkine dans la vitre se superpose au portrait de Nastasie.
Mais l'Idiot est aussi et surtout un grand film des regards. Il y a des échanges de regards qu'on oublie pas (l'échange de regards Jeff/Jenny au début de The Killer ainsi que le moment où le personnage de Glenn Ford rend noble et belle une ancienne chanteuse de saloon en la regardant dans 3 heures 10 pour Yuma) et l'Idiot en regorge. Car en regardant fixement Nastasie, Mychkine lui offre sa pitié, sentiment qui chez lui se rapproche de l'amour, et surtout va mettre en valeur la vraie noblesse d'ame d'une femme considérée par tous comme une dépravée, une femme qui peut mener une vie dissolue tout en proclamant que "l'amitié ne s'achète pas". Et elle hésitera toujours à l'épouser car si elle sait qu'elle peut l'aimer elle a peur de ne pas etre au niveau pureté de cet homme et préfèrera la fréquentation de Rogojine. Et son tourment nous offre de grands moments mélodramatiques: le vase brisé, l'argent jeté dans la cheminée, le face à face avec la femme promise à Mychkine, sa réapparition lors d'une fete de rue.
La force mélodramatique du film s'appuie sur de grandes performances d'acteurs: Masayuki Mori et ses regards naifs, ses gestes hésitants, Setsuko Hara éclatante de glamour et au regard constamment entre ciel et enfer. Et surtout Mifune. Car c'est bien simple. Mifune EST Rogojine, il incarne mieux que personne un etre terrien, alcoolique, débauché, habité par le mal, par sa volonté de puissance et un abandon nihiliste à ses instincts mais par moments touché par la beauté mystique (la scène où il va pour tuer Mychkine mais s'arrete net terrassé par la noblesse d'ame qui se dégage de son regard épouvanté). Un autre point très bien rendu par le film est le rire dostoievskien qui avec la direction d'acteur de Kurosawa acquiert son coté satanique et méprisant. L'aspect mélodramatique du film est renforcé par le fait que sa version tronquée aujourd'hui visible ne garde du roman que les moments de forte intensité. Le vent, la neige se font alors l'écho des tourments des personnages et rajoutent de la puissance dramatique aux situations.
La multiplication des scènes de huis clos fait que Kurosawa cadre chaque scène comme une scène d'un théatre des passions humaines, un monde où un etre pur suscite le mépris et le rejet parce qu'il ne souhaite que le bonheur des autres et expier leurs fautes (les souvenirs de l'éxécution où Mychkine aurait voulu périr à la place de son meilleur ami). La scène où Nastasie reproche à la future épouse de Mychkine de faire souffrir ce dernier, Mychkine et Rogojine contemplant tous deux un cierge sont aussi deux scènes fortes qui confrontent le spectateur à ses tourments, à ses hésitations, à sa vision de la vie. On peut trouver tout ceci trop lourd, trop appuyé ou comme moi poignant d'un bout à l'autre.
Reste alors le fait que cette version tronquée par la censure japonaise de l'époque soit narrativement très difficile à suivre pour qui n'a pas en tete le roman original. L'Idiot est du coup un Kurosawa très exigeant. On peut comme moi penser que les émotions qu'il véhicule valent bien un gros effort de la part du spectateur. Ou pas...
Adapté de Dostoievski, un véritable chef-d'oeuvre à voir absolument.
Adapté du roman du même nom de Fédor Dostoievski, L'idiot de Kurosawa est un pur chef-d'oeuvre, un joyau de la couronne des films d'anthologie du septième art, malheureusement méconnu par le grand public.
L'idiot laisse éclater le talent infini de Kurosawa au grand jour et constitue une parfaite mise en bouche pour la découverte de sa filmographie. En effet, il présente déjà le thème récurrent à toute son oeuvre, à savoir la recherche de la bonté pure chez l'Homme (pour John Woo c'est l'honneur, pour Wong Kar-Wai la solitude urbaine...) ; en cela il s'accorde parfaitement avec le roman de l'écrivain russe, qui dit de son prince idiot qu'" il est la représentation du Christ sur Terre dans sa passion pour l'Homme" .
Avec une grande intelligence, Kurosawa a retenu du roman fleuve (1000 pages!) les passages les plus importants correspondant à sa vision du monde et en a supprimé d'autres qui ne nuisent pas à la compréhension du récit, de sorte que le résultat, réduit à 2H45 (quand même), est d'une fidélité étonnante et en même temps d'une personnalité incroyable, chose rare lors d'adaptations de romans à l'écran. Filmée dans un noir et blanc moite et d'un âge reculé, soutenue par une musique terrassante, l'oeuvre nous fait assister avec le prince idiot (du moins considéré comme idiot car trop bon et trop généreux envers son prochain) à la bêtise, l'intolérance et le mensonge dans lesquels se complaisent trop souvent les hommes, jusqu'à sa fin tragique.
Cet homme qui retourne à Hokkaido (Japon), enfouie sous ses neiges hivernales, après avoir passé plusieurs années en Suisse pour maladie mentale et crises d'épilepsie, afin de faire la connaissance de sa lointaine famille, tombe passionnément amoureux d'une femme peu appréciée par son entourage (elle a une réputation de trainée) et sur le point de se marier. Ayant compris toute sa bonté, elle décide de se refuser au prince pour ne pas gâcher sa vie sans pour autant s'unir avec son premier prétendant (joué par Toshiro Mifune, génial comme toujours, acteur fétiche de l' "Empereur"). Dans le même temps, il est question que le prince se marie avec une fille ténébeuse, complexe et d'une beauté renversante qui sait apprécier sa générosité. Le voici tiraillé entre ces deux femmes. Il n'aura ni l'une ni l'autre.
Tout au long de ces 2H45, intenses et tragiques, on ne décolle pas les yeux de l'écran tellement l'envoûtement des images est puissant: chaque regard est impressionnant de profondeur, chaque dialogue est épique. C'est vraiment une oeuvre inoubliable. Il ne tient qu'à vous de vérifier mes dires...
Intensité dramatique
L'un de mes tout premier Kurosawa. Etant Lycéen, ce film m'avait énormément marqué. On critique souvent la direction d'acteur de cette oeuvre, mais bizarrement c'est l'élément qui m'a le plus frappé. Sans doute, à mon goût, le meilleur rôle de Masayuki Mori avec celui qu'il interprète dans le chef d'oeuvre de Mikio Naruse, Nuages Flottant.
La trame du roman de Dostoievski est loin d'être respecté, surtout dans la seconde partie du film, mais l'esprit est là. Certaines scènes gardent la densité du roman. A noté que certains élément de la vie du personnage du Prince Mychkine sont ici couplés avec des événements assez proches de la biographie de l'auteur (mychkine n'a jamais été condamné à mort dans le roman, ce fait rejoint un épisode de la vie de Dostoievki).
LE PLUS GENDAI GEKI DU MAITRE.
QUEL FILM! QUEL DIRECTION D'ACTEURS! Je pourrais rester longtemps à parler de ce film, je ferais court: tout est sublime dans ce film: les acteurs, les décors, la musique; En deux mots une perle de cinéma car on a rarement la chance d'en voir. Quant à MASAYAKI MORI: merci chef.
Hérésie et sentiments
Après le succès mitigé national de son "Rashomon" (et avant sa consécration mondiale à venir), la carrière de Kurosawa traverse une mauvaise passe: ses rapports avec la Daiei se tendent et il est obligé d'abandonner son projet de rêve de l'adaptation de "MacBeth" suite à l'annonce de la mise en chantier d'une version américaine par Orson Welles.
Il se rabat alors sur une autre adaptation fleuve, d'un de ses auteurs favoris: celle de "L'Idiot" de Dostoïevski. Ecrivain (et roman) à être rentré au panthéon des Classiques du genre, une transposition sur grand écran ne semble chose aisée – surtout en éloignant tellement l'histoire originelle de son contexte en transposant les aventures de l'Idiot de la Russie aux paysages enneigés du Hokkaido japonais.
Il est aujourd'hui difficile de juger de l'entier travail d'adaptation abattu par Kurosawa. Seconde collaboration avec la Shochiku, Kurosawa s'est sévèrement battu concernant le "final cut" de son film. Il a concédé à éditer une nouvelle version de 2h46 après une première de 4h25. Devant l'insistance de couper d'autres scènes, le cinéaste réussit finalement à se mettre d'accord sur le fait de préserver cette version, mais de l'exploiter en deux parties; quant à la distribution internationale, elle sera en une seule partie de 2h25 minutes.
Les coupures obligent le réalisateur à recourir sur des longs panneaux explicatifs (notamment en début du métrage) et une voix off – en parfaite contradiction avec la minutieuse recherche psychologique de ses personnages; car l'entier film se concentre sur al tempête de sentiments contenue au for intérieur des personnages ballottés par l'amour. Kurosawa multiplie les gros plans longs sur ses principaux protagonistes et de leur faire exprimer par des infimes mouvements (de lèvres, des sourcils, de paupières) des sentiments forcément retenus. Il trouve en l'actrice Hara Setsuko une parfaite interprète pour son rôle: son passage chez OZU aura tout été sauf vain et elle se plie facilement à l'exigence du travail d'acteurs de Kurosawa.
Difficile donc en l'état de pouvoir juger de la réelle transposition de la quintessence même de l'œuvre; en revanche, malgré des changements notoires visibles, le réalisateur réussit à préserver le génie de son modèle. L'intrigue est transposée des faubourgs de St Petersbourg dans un Japon de l'immédiate après-guerre; les personnages ne sont plus des nobles, mais des aristocrates et les noms des personnages ont bien évidemment été adaptés à la langue japonaise (KAMEDA/MYCHKINE,AYAKO/AGLAIA; ONO/EPANTCHINE; AKAMA/ROGOJINE; TAEKO / NASTASSIA; TAHOTA/TOTZKI; KAYAMA/GANIA).
Le seul réel changement majeur (et peu adapté) réside en un dénouement (en plus d'une toute dernière scène entièrement inventée) transfiguré, qui sent l'imposition des studios à plein nez.
"L'Idiot" est un chef-d'œuvre incompris et méconnu et la première superproduction totalement démesuré, mais néanmoins maîtrisé, de son réalisateur. Elle préfigure aussi bien ces futures mega-productions à venir, comme ses autres adaptations littéraires, qui, là, ont curieusement réussi à convaincre critiques et détracteurs de son incroyable capacité à préserver des œuvres occidentales de leur transposition en un milieu typiquement asiatique.
Une brillante adaptation, mais pourquoi faire ?
D'un roman on tire souvent un film, plus rarement un ballet ou une statue, mais pourquoi jamais une cathédrale ou un gâteau ?
Adapter
L'Idiot était une gageure. On peut crier au chef-d'oeuvre en comparant par exemple ce qu'a fait Kurosawa aux horreurs stendhaliennes que pondait Autant-Lara à la même époque. Mais, à ladite époque, adapter un grand roman au cinéma avait un but pédagogique (et non commercial): c'était faire connaître au public "populaire" jusqu'au nom de son auteur, tandis que les gens "cultivés" étaient normalement tous censés avoir lu le livre. De nos jours, grâce à la télévision, tout le monde sait qui était Dostoïevski, mais (à cause de la télévision ?) seule une faible minorité de bacheliers a lu
L'Idiot. Pourquoi leur conseillerait-on d'aller voir le film, qui n'a d'intérêt qu'en tant qu'adaptation littéraire ?