Fresque minimaliste
Annoncé comme le film le plus ambitieux de Stanley Kwan,
Everlasting Regret faisait un peu penser à
Vivre! de Zhang Yimou, l'histoire de Chine vue au travers des yeux d'un personnage, sur plusieurs générations. On imaginait alors le faste du Shanghai du siècle dernier, avec l'aide des moyens de production de Jackie Chan. Au final ce n'est pas du tout le cas, Stanley Kwan n'a rien d'un Chen Kaige ou d'un Zhang Yimou. Son approche sur
Everlasting Regret rappelle beaucoup celle de Lan Yu: parler de la société et de son évolution via les personnages, et exclusivement les personnages. Yimou ne joue jamais ni la carte de l'information "journal de 13h" (càd prémâchée et expliquée pour les masses), ni la carte de l'information spectaculaire (via les moyens cinématographiques actuels pour reconstituer un évènement historique).
De Shanghai, on ne verra que quelques appartements, jamais de plans en extérieur, jamais de cadrage ample et impressionnants. Kwan colle au personnage, ne cède jamais à la facilité d'ajouter une voix off narrant les évènements historiques de l'époque par exemple. Tout comme dans Lan Yu, on apprend les évènements marquants via quelques mots des personnages, en observant leur évolution. C'est tout le crédit qu'il faut donner à
Everlasting Regret, l'absence totale de facilité pourtant si répandue dans le cinéma actuel.
L'autre pari du film est son casting. Choisir des acteurs HKgais pour jouer des chinois de Shanghai était évidemment plus intéressant commercialement parlant, mais un peu plus risqué artistiquement. Surtout en choisissant Sammi Cheng, reine des comédies, dans le rôle principal. Le pari est pourtant presque réussi, Sammi réussissant presque à disparaître derrière son personnage. Le travail des maquilleurs n'y est pas pour rien non plus. Le seul souci reste sa voix. Son mandarin sonne trop à cheval entre sa voix assez caractéristique en cantonais et le ton totalement différent qu'avaient les gens à l'époque. On s'en rend bien compte lors des passages de dispute où elle n'arrive plus vraiment à contrôler son accent. Tony Leung Ka-Fai, également très bon, s'en sort bien mieux à ce niveau. Quant aux acteurs chinois, il n'y a comme souvent pas grand chose à redire sur un film de ce genre: c'est solide et très professionnel.
Enfin la réalisation de Stanley Kwan ne surprend pas. C'est comme toujours très minimaliste afin de laisser la part belle aux comédiens. La photographie visiblement très insipirée d'
In the Mood for Love ne rivalise pas vraiment avec celle de Christopher Doyle. Il y a probablement une volonté de soigner le film plus que d'habitude pour des raisons d'export, mais on dirait que Stanley Kwan a volontairement bridé la qualité de la photo pour ne pas la rendre trop belle ou "artistique". Ses tons de vert n'ont rien de très plaisants à l'oeil, comme si l'aspect minimaliste et réaliste de l'ensemble devait aussi ressortir via la photo. Un choix discutable donc, mais finalement assez cohérent avec le reste du projet.
Everlasting Regret réussit donc à rester un vrai film "indépendant" là où on aurait pu craindre que les impératifs commerciaux obligent Stanley Kwan à faire beaucoup de compromis. Mais le film réussit à rester minimaliste et humain à presque tous les étages et décevra probablement ceux qui attendaient une fresque historique plus ample.
Une désuétude qui ne manque pas de charme
Film complètement linéaire, centré sur le personnage de Qiyao, Everlasting Regret n'est rien de plus qu'une histoire simple, simplement contée. Le classicisme de la réalisation de Stanley KWAN Kam-Pang trouve dans la sobriété de cette histoire le terreau idéal. A la différence de Lan Yu, histoire d'hommes à Pékin, les personnages sont ici parfaitement lisses, c'est cette absence de dimension qui va permettre à Stanley Kwan de mieux dérouler le fil linéaire de la chronologie. La surexploitation des jeux de miroirs et des reflets tout au long du film vient souligner cet écrasement de la réalité à travers le rendu de la mémoire. La conséquence difficilement évitable d'un tel parti-pris est rendre le film... langoureux pour ceux qui apprécient, ennuyeux pour les autres. L'absence quasi-totale d'intensité dramatique jusque dans le final aura surement raison de plus d'un spectateur.
Pourtant à travers ce film, Stanley Kwan renoue avec une esthétique d'une délicatesse troublante dans le regard porté sur les femmes. On retrouve cette tendresse pour la gente féminine qui a marqué son début de carrière, de Rouge à Red Rose White Rose. Cette vision mélangeant idéalisme et réalisme est surement pour beaucoup dans le parti-pris de ne pas vieillir le personnage de Qiyia proportionnellement aux années qui passent à la différence des personnages masculins. C'est à cette mesure qu'il faut juger de la prestation de Sammi CHENG Sau-Man avant de dire qu'elle n'est peut-être pas convainquante en femme vieillissante. Elle est en fait conforme à l'idée que veut faire passer Stanley Kwan, une vie passe mais la vie reste. Comparativement, on trouvera Tony leung K.F. plus incarné, plus sensible dans l'incarnation de la décrépitude inévitable de son personnage qui est le narrateur de cette histoire.
Certes, Everlasting Regret ne peut pas prétendre être un grand film. Pris pour lui-même, le film manque par trop d'émotion pour remuer le spectateur, mais la maîtrise technique de Stanley Kwan sert parfaitement la forme narrative retenue et ce film fait figure de sursaut pour un réalisateur qui, s'il ne livre rien de nouveau, réexplore ici un thème qu'il avait déserté depuis plusieurs années.
21 décembre 2005
par
jeffy