Xavier Chanoine | 4.25 | Superbe aventure |
drélium | 4.5 | Énooorme ! |
Ordell Robbie | 4.5 | un grand film sur l'aventure |
Ghost Dog | 4 | Des aventures pas OR-dinaires |
Kurosawa Akira a toujours su mêler diversité et originalité tout au long de sa carrière. Après Vivre dans la peur, il signe Les Bas-fonds, satire virulente de la pauvreté et du malaise sociale. Peut être son moins bon film dans la mesure où filmer le quotidien d'une bande d'alcoolique sur plus de 2h peut paraître guère utile, surtout qu'il ne se passe pas grande chose, comparé à Dodes'kaden. Il tourne ensuite son château de l'araignée, adaptation libre et nippone de Macbeth, sorte de tragédie fantastique à double visage. Son prochain film, la Forteresse cachée revient aux sources du pur film d'aventure, comme l'était 4 ans auparavant les Sept samouraïs. Et quelle aventure.
L'argent (tout du moins à cette époque, l'or) n'a jamais été un élément souvent abordé chez le réalisateur. Peut être Scandale, l'Idiot ou ses polars noirs en faisaient référence. Il privilégie la bonté, les règlements ou les déchirements entre clan, mais les affaires d'argent ne sont jamais pleinement exploitées. Avec la Forteresse cachée, l'or représente l'élément central de l'histoire. Deux paysans (exceptionnels Chiaki Minoru et Fujiwara Kamatari) attirés par l'or se retrouvent sur le chemin du général Rokurota (Mifune Toshirô). Ce dernier aura besoin de leur aide pour transporter une cargaison de 750 kilos d'or et devront par tous les moyens, passer la frontière qui sépare leur clans.
Toujours rythmé avec une énergie sidérante, la Forteresse cachée est sûrement l'oeuvre la plus légère et la plus ironique du Sensei. D'un côté on y trouve un formidable film d'aventure, de l'autre, presque une parodie. Ne comptez pas trouver des massacres à n'en plus finir à la Sept samouraïs, ne comptez pas trouver des pleurs et du malaise comme dans l'Idiot, non, le film de Kurosawa est avant tout un divertissement 4 étoiles.
L'utilisation du scope fait des merveilles (une première dans le paysage cinématographique japonais) et permet d'y exposer de formidables paysages faits de plaines et de montagnes. De même pour les scènes d'action, comme cette fulgurante poursuite à cheval entre Rokurota et deux samouraïs, ce combat à la lance divin contre Hyoe, ou cette pléiade de figurants dévalant un immense escalier. L'art de la mise en scène chez Kurosawa a toujours été une habitude, presque une routine et démontre à quel point un scope bien utilisé peut faire des miracles.
Mifune Toshirô, sidérant de puissance réussit le tour de Maître d'imposer son autorité du début à la fin (mémorable paire de baffe sur les deux paysans), bien aidé par la sublime Uehara Misa aussi braillarde que lui. Autre raison de voir la Forteresse cachée, ce sont les quelques pas de danses effectués par Mifune lors d'une fête; ça, on est pas prêt de le revoir!
Peu à ajouter si ce n'est que l'histoire n'est pas si forte qu'elle peut l'être dans Les 7 samourais. De nombreux rebondissements néanmoins, une mise en scène, une musique, des acteurs... tous fabuleux. Plusieurs scènes ultra cultes comme la poursuite à cheval et la descente de l'escalier géant en pierre par des paysans face aux troupes sont de pures merveilles comme bien d'autres passages mais la puissance évocatrice et mystique des 7 Samouraïs est aussi difficilement égalable.
Juste une petite remarque supplémentaire sur Misa Uehara, la princesse Yuki en short : heureusement qu'elle joue la muette la plupart du film car quand elle l'ouvre, elle crie aussi fort que Toshiro (un comble) même si c'est pour dire qu'elle est contente. Rien de vraiment gênant cependant, cela fait partie de l'image de femme forte que Kurosawa voulait faire passer et Uehara habitée par le rôle, qu'elle décrocha par hasard, reste charismatique à souhait et s'y donne à coeur joie en parfaite adéquation avec l'énergie du gigantesque Toshiro Mifune et la vitalité du duo comique.
Au risque de m'emporter, je dirais moins fort que Les 7 samouraïs quand même.Avec Hidden Fortress, Kurosawa signe son premier film en scope et ajoute un classique de plus à sa filmographie. Certains objecteront que le film est moins profond thématiquement que l'Idiot ou les 7 Samouraïs pour lui dénier ce statut. Mais un classique, ce n'est pas seulement une oeuvre qui fait date par son apport au langage cinématographique ou par sa densité romanesque -on parle cinéma pas littérature-, cela peut être aussi une réussite particulièrement brillante dans un genre cinématographique. African Queen par exemple vu que l'on parle de films d'aventures: un film qui est loin d'être d'une grande profondeur, qui ne révolutionne pas le cinéma. C'est juste un film d'aventures brillamment exécuté, porté par des acteurs en état de grâce et d'une grande richesse émotionnelle.
Côté divertissement pur, Kurosawa offre au spectateur son quota de grand spectacle en entertainer surdoué: la scène de l'escalier offre un amusant clin d'oeil à la même scène du Cuirassé Potemkine (le montage des batailles des 7 Samouraïs devait déjà beaucoup à Alexandre Nevski), l'ouverture avec ses paysans à la dimension picaresque déambulant et tombant sur un samouraï tout droit échappé du Chateau de l'Araignée, celle de la danse du feu filmée avec virtuosité. Il montre ainsi une vraie maîtrise du format scope qu'il utilise pour la première fois ici en faisant de chaque plan un théâtre comique où des paysans ridicules et motivés par l'appât du gain se donnent en spectacle. A ce propos, on pourrait voir dans le film une version "légère" du Trésor de la Sierra Madre: chez Huston, le désir d'argent débouchait sur un destin tragique soulignant la vanité des entreprises humaines de recherche de la fortune; chez Kurosawa, les personnages n'apprendront rien de leur aventure et demeureront à jamais de figures picaresques ridicules. A ce propos, il a souvent été reproché à Kurosawa de "subir" l'influence du cinéma américain. Mais ici il ne s'agit pas de reprendre les travers de la production cinématographique d'une industrie étrangère (ce que fait le cinéma d'action coréen) mais d'un film dont les qualités sont celles du meilleur cinéma américain classique, à savoir l'équilibre réussi entre scènes intimistes et spectacle, maîtrise et dimension humaine.
Pour souligner la particularité de la Forteresse Cachée dans l'oeuvre de Kurosawa, on peut mentionner le personnage de la princesse: certes, dans l'Idiot, le personnage de Hara Setsuko était déjà d'une profondeur psychologique inhabituelle pour un personnage féminin chez Kurosawa. Mais elle avait un côté sensible qui correspondait quand même à l'image de la femme de son époque. Le personnage de la princesse est une femme plus glacée, qui n'a pas peur d'être autoritaire face aux personnages masculins et en cela on peut faire crédit à Kurosawa d'une certaine modernité dans le cadre d'un cinéma de divertissement à grand spectacle (les personnages féminins forts existaient auparavant dans le cinéma japonais mais dans le cadre de mélodrames historiques plus axés sur l'intime -Mizoguchi- ou des études de moeurs -Naruse-). A ce stade, on n'a pas mentionné les acteurs. En effet, connaissez-vous beaucoup d'acteurs capables de ballader en slip pendant près de deux heures de film sans paraître ridicules? Et même de demeurer charismatiques dans cette situation? Un Pacino (Scarface) ou un De Niro (Casino) accompliront plus tard ce genre d'exploits du "je réussis à ne pas me couvrir de ridicule avec des fringues comme ça" que Mifune accomplit ici.
Le divertissement, c'est une chose sérieuse. Cela peut même être d'une grande noblesse lorsque c'est fait avec talent et sans démagogie. La Forteresse Cachée fait le spectacle sans chercher à en mettre plein la vue, fait rire tout en faisant réfléchir (ici c'est la vanité du désir pour ce qui bille qui est raillé). Et c'est un géant du cinéma mondial qui nous offre cette leçon lors d'un film qui est tout sauf une récréation malgré les apparences.
Les entrées en matière dans les films de Kurosawa sont souvent spectaculaires car très inspirées par le théâtre: on se souvient du plan fixe de 5 minutes en introduction de Kagemusha par exemple. Ici, le film s'ouvre sur deux paysans qui fuient leurs terres ravagées par des samourais. La caméra les suit tandis qu'ils se retournent pour constater les dégâts et se lamentent sur leur sort. Sans perdre une seule seconde et d'une manière magistrale, on plonge en pleine action dans le Japon du XVIème siécle et on comprend ce qui sous-tend l'intrigue: les guerres intestines que se livrent des clans rivaux pour la conquète de territoires ennemis. Filmé dans un noir et blanc superbe, on se frotte d'emblée les mains du spectacle qui nous attend.
Même si La Forteresse Cachée n'est pas le plus grand film de Kurosawa, sa vision est nécessaire, ne serait-ce que pour son acteur principal: Toshiro Mifune, encore et toujours... Dans le rôle d'un général en slip au service d'une princesse déchue qui aimerait bien retrouver son trône, il est une nouvelle fois impérial, se battant, vociférant et allant même jusqu'à pousser la chansonnette et exécuter un maladroit pas de danse pour notre plus grand bonheur! Les autres personnages sont bien écrits et ont de la personnalité: la princesse tout d'abord, petite boule de nerfs gueularde, dirige tout son monde afin de pouvoir aboutir à son objectif, à savoir la prise du pouvoir sur son domaine. Les 2 paysans ensuite, qui donnent au film une dimension comique irrésistible, puisqu'ils se battent entre eux du début à la fin pour 3 sacs d'or avant de repartir tout heureux avec 50 grammes... Enfin, un joli rôle est offert à un ennemi du général Mifune: vaincu lors d'une confrontation au sommet, il finit par décider de ne plus se venger et d'aider la bande des 4 dans leur expédition.
On appréciera également la réalisation de Kurosawa, toujours aussi vive, mêlant plans larges et plans très serrés dans un montage de grande qualité. J'en veux pour preuve cette poursuite à cheval entre Mifune et 2 samourais, filmée de façon très simple mais diablement efficace: les caméras sont fixées sur le bord du chemin et filment en panoramique les chevaux qui passent devant l'objectif; Kurosawa alterne rapidement plans larges et serrés sur les pattes des alezans, et le tour est joué!
Plus je vois de films de ce cinéaste, plus je me dis que personne au monde ne s'appropriera l'Histoire du Japon féodal comme il l'a fait à travers de nombreux chefs-d'oeuvres. La Forteresse Cachée en fait partie, et il vaut largement tous les autres.