Xavier Chanoine | 3.5 | Condition cruelle |
Ghost Dog | 4 | Sombre |
Ordell Robbie | 4 | une vision brutale du monde de la prostitution |
Désespéré et portrait pourtant réaliste de la femme au cours des années d'après-guerre, Les femme de la nuit est l'un des films les plus pessimistes de Mizoguchi. Le ton est donné dès les premières minutes et le spectateur est déjà mis au courant de la pauvreté du quartier d'Osaka avec une femme condamnée à vendre ses biens pour survivre. De plus, le thème de la prostitution est clairement évoqué même si l'ensemble est nuancé, la patronne du petit bazar improvisé parle de ce métier sans pour autant prononcer "prostitution" ou autres termes "dégradants" pour la femme de bonne éducation sans pour autant être de bonne condition. Le thème de l'amour est aussi vaguement vu, sous-jacent à celui de la guerre puisque la jeune femme parle de son mari en espérant le voir revenir au plus vite, mais seule sa dépouille reviendra en Osaka. Seule et sans le sous malgré les ressources de son beau-frère, elle décide donc de se rallier aux femmes de mauvaise vie, comme sa soeur devenue riche et coquette depuis qu'elle fréquente les quartiers malfamés d'Abeno.
Mais le premier contact avec le métier n'est qu'un pur attrape nigaud, séduite par un jeune étudiant inconnu, elle tombe alors dans les mailles infernales de la prostitution, de l'exploitation et de l'humiliation, incapable de s'en sortir. Le cercle des prostituées, infranchissable est représenté et imagé par cet hôpital encerclé d'un mur de 5m de haut, rehaussé par des fils de fer barbelés. A la fois impénétrable (des femmes redoutables) et infranchissable (on ne sort pas si facilement d'un tel cercle), l'endroit n'est qu'un refuge où les libertés sont tout simplement privées, et en voulant quitter ce cercle, Fusako subira les pires souffrances. Cruel portrait d'une société laissant les femmes sur la touche ou les laissant "s'entre-dévorer", Mizoguchi dépeint un Osaka pessimiste et crade, non sans rappeler ses futurs travaux sur La Rue de la Honte, là aussi un pamphlet absurde et violent sur le pouvoir de l'argent. Déprimant mais tellement réaliste...
Visionner Les femmes de la nuit, c’est tourner une page d’Histoire, c’est assister comme devant Le Cimetière de la morale à la renaissance apocalyptique d’un Japon d’après-guerre meurtri et désenchanté. Comme souvent, Mizoguchi se place du côté des femmes et décrit leurs souffrances, leurs difficultés face à un monde qui ne leur offre que peu d’espaces d’épanouissement. Ainsi, pour se libérer du machisme, de la lâcheté et de l’égoïsme de certains hommes, et devant le peu de perspectives professionnelles qui se présentent à elles, la prostitution est malheureusement pour elles l’un des seuls « refuges » leur permettant de rester libres malgré la dureté du quotidien, poussé à son paroxysme lors de la scène finale, quasi-christique, où une femme voulant sortir de ce cercle infernal se fait passer à tabac par ses congénères dans un terrain vague. Un grand film sombre et poignant qui annonce des incontournables du Cinéma nippon comme La Vie d'Oharu femme galante ou La Rue de la Honte.
L'ouverture des Femmes de la nuit est un modèle d'exposition classique : après un long travelling aérien sur Osaka, la caméra s'immobilise sur une rue et zoome; on voit un panneau interdisant aux femmes de se promener de nuit avant que la caméra se déplace vers celle qui sera entrainée sur la voie de la prostitution. En très peu de temps, le sujet est déjà posé. Puis on aura droit à un tableau sans concessions de la misère et de la désolation du Japon d'après-guerre qui n'a rien à envier au versant social du Kurosawa de l'époque. Mais lorsqu'il s'agit de filmer les scènes de cabaret, Mizoguchi opte pour de longs plans séquences désespérés et nostalgiques là où Kurosawa cherchait à rendre compte du bouillonnement d'une jeunesse avide d'évasion. Le film met en évidence la fascination suscitée par l'argent facile de la prostitution qui permet de se payer des vetements couteux, l'effet d'entrainement dans la famille de la veuve qui en est la conséquence, la société qui ne répond au problème qu'en invoquant la morale traditionnelle.
Si Mizoguchi a toujours été le cinéaste de la violence faite aux femmes par la société (on le voit ici lors de la scène du quasi-viol d'autant plus dégoutante que suggérée ainsi que lors des arrestations de prostituées par la police), cette violence se double ici de la violence entre femmes: traitements cruels réservés aux nouvelles arrivantes par les prostituées, multiples scènes de bagarres entre femmes, final où l'une d'elles est fouettée à coup de ceinture et tabassée. Pour ces femmes, le seul espoir est dans la conscience de la faute et le final triste dans un cimmetière en ruine semble par sa symbolique religieuse (les prostituées filmées à travers un vitrail religieux) offrir une possibilité de rédemption à ses personnages, ce que confirme la caméra qui s'élargit vers les cieux lors du dernier plan.
Huit ans avant La Rue de la Honte, Mizoguchi offrait déjà un tableau juste du monde du sexe tarifé.