Une nouvelle fois adapté du roman de Hayashi Fumiko, de ce Naruse l’on retiendra une peinture de la figure féminine souvent esquintée par la gente masculine de manière plus ou moins volontaire. Quand ce n’est pas une histoire de cœur, d’argent ou de travail, c’est un décès. Porté par une Takamine Hideko (Kiyoko) espiègle mais déjà plus mature que son personnage de receveuse d’autobus qu’elle campait dans le film quasi éponyme de 1941 et qu’elle retrouve ici aussi (où comment Naruse redonne une part de responsabilité à ses héroïnes tandis que les hommes se laissent plus ou moins aller, excepté l’homme convoité par Takamine, plus souple et moins crapuleux), jouant de ses attitudes et son franc-parler pour créer une rupture avec le côté conservateur des personnes qui l’entourent : frère et sœurs au destin bien éloigné, mère ayant eu ses enfants avec trois hommes différents. Comme à l’accoutumé chez Naruse, le film jouit d’une mise en scène d’une grande sobriété, sans doute moins codifiée que celle des autres « maîtres » du cinéma japonais classique, mais identifiable par la position des acteurs à l’écran, la science toute particulière du montage et de l’alternance des plans rapprochés/distanciés censés capter l’émotion ou enfermer les personnages dans une bulle conservatrice.
Le dernier plan montrant Kiyoko et sa mère marchant dans la rue, démontre que du changement aura lieu, ou qu’une prise de conscience est établie (le dialogue entre les deux femmes juste avant est un des grands moments poignants du film) simplement parce qu’elles sont toutes les deux debout et que leur visage rayonne. Ou l’art de Naruse de porter le climax à un haut niveau dramatique sans pour autant tomber dans le ridicule malgré quelques pleurs parfois exagérées. Etape de la vie d’une jeune femme moderne n’ayant rien à envier à l’égérie d’Osaka de Mizoguchi, sans doute plus amusant du fait du naturel de Takamine et de ses mimiques adorables (ses éternels tirages de langue en sont presque une marque de fabrique à eux seuls), L’Eclair porte définitivement bien son nom, apparaissant dans le ciel à un moment de la prise de conscience, du changement à venir. Belle image. Attention toutefois à certaines longueurs heureusement souvent effacées par la belle partition et la présence du chat (fait assez rare chez Naruse pour être signalé) qui apporte un côté presque maternel aux soeurs.
Comme tous les Naruse qu'on a vus jusqu'à présent, l'Eclair est un grand film de femmes, un grand film sur la condition de la femme et des plus touchants. Puisque Ozu avait employé le terme de "cinéma à voix basse" pour caractériser son cinéma et celui de Naruse par opposition à celui "à voix haute" de Kurosawa et Mizoguchi, on dira que Naruse pratique un féminisme à voix basse. Un féminisme où la dénonciation se fait de façon non tonitruante, par son regard de cinéaste plus que par la lourdeur militante.
L'air de rien, sans tambours ni trompettes, il aura fallu à Naruse la durée standard d'une série B pour offrir un portrait des moins reluisants du male japonais. La belle brochette de personnages féminins attachants du film souvent plus responsables que leurs compagnons. SPOILERS Notamment une héroine figure de jeunesse capable de maintenir la ligne directrice qu'elle a fixé à sa vie malgré les hommes et une famille qui voudraient la voir changer de cap. Elle refusera ainsi le mariage arrangé que lui promettait sa famille, saura ne pas avoir peur de s'affirmer face au manque de respect de certains hommes. Et même porter un regard distancié sur les couples qu'elle cotoie, sur des hommes incapables de s'assumer. Le seul homme sur lequel elle porte un regard un minimum positif est d'ailleurs une figure attentionnée bien loin des figures de machos qui peuplent le cinéma japonais fifties. FIN SPOILERS De façon suggérée apparaissent aussi au détour du film le monde de l'entreprise, la volonté de trouver un travail ou de de quoi gagner sa vie dans un Japon qui commence à relever la tete après la défaite militaire de 1945. De l'Eclair il faut dire aussi ce qui fait la grandeur habituelle du cinéma de Naruse: l'art de tirer de ses actrices les jeux de regards les plus riches et les plus nuancés; une mise en scène pas aussi maniaque de précision que celle d'Ozu. Pas non plus systématique dans ses parti pris -les scènes d'intérieur ne comportent pas que des plans à hauteur de tatami par exemple- que cette dernière. Mais une mise en scène qui finalement sert l'émotion.
S'il y a parti pris chez Naruse, c'est le parti pris systématique de la simplicité conduisant à une évidence dans la mise en scène qui finit par en etre remarquable. Evidence qu'on retrouve dans un montage qui laisse respirer ses personnages, son récit mais qui ne se ressent jamais comme lent. Pour un film qui s'ajoute aux multiples perles que le cinéma nippon fifties offrit au patrimoine cinématographique mondial.
Drame du quotidien, Naruse brosse une nouvelle fois un sensible portrait de jeunes femmes dans les affres de l'immédiate après-guerre.
Démarrant par la mère de plusieurs enfants de pères différents, Naruse déplace doucement son centre d'intérêt vers un regard critique envers les couples. Mariages arrangés ou femmes mariées de force à un conjoint, dont ils n'ont que peu d'égards, l'amour est finalement bien loin des supposées couples unis.
Seule une fille arrive à s'assumer complètement, refusant d'épouser un homme tout désigné et prenant sa propre vie en mains en se payant son propre appartement. Naruse, dans un académisme relatif concernant sa mise en scène (sa réalisation doit beaucoup aux cantons habituels de l'avant-guerre, mais également au conformisme plus original d'un Ozu ou d'un Mizoguchi) n'aura de cesse de revendiquer dans ses oeuvres antérieures des idées plus modernistes, telle que la libéralisation de la femme.
Son intrigue ultra-réaliste rebutera les amoureux de scénarios remplis de rebondissements, mais brille par la représentation réaliste d'une époque révolue.
Les voyages en bus sont d'autant d'images du passé, que la métaphore d'apparences trompeuses (l'héroïne s'emmêle plus d'une fois les pinceaux en présentant tel ou tel monument / quartier sans laisser rien paraître).
Un grand petit film, pas au goût d'un chacun, à l'instar de quelque tableau - apparemment simpliste - des plus grands peintres.