Music of my heart
Troisième long-métrage réalisé par Pestonji après "Hello Dolly" et "Country Hotel" et premier à être tourné en couleurs.
Cette fois, il réalisé un film pour le compte de la société de production d'un ami, Kachara Film, mais tourné dans ses propres studios de "Hanuman Films"…et ça se voit. Parfois de toute beauté, certains décors paraissent également franchement bricolés. Les scènes d'intérieurs ont même carrément été tournés chez le réalisateur et ses proches…
L'histoire est cette fois signée Suwat Woradilok, un producteur, qui avait écrit cette version pour la télévision. Exit la force sulfureuse d'un Vichit Kounavudhi ("Santi-Veena"; "Forever yours", …) et de l'originalité avant-gardiste d'un Pestonji sur son propre "Country Hotel": l'intrigue est relativement simple, la romance carrément mièvre…et pourtant, PEstonji réussit une nouvelle fois à apposer sa propre patte et tirer ce qui aurait pu n'être qu'un divertissement de plus vers des hauteurs insoupçonnées.
Alors que l'apparition des protagonistes principaux de "Forever yours" en début de "Country Hotel" et l'exploration du thème de l'aliénation par Amour constituait un véritable fil conducteur d'une œuvre à l'autre de Pestonji, il va une nouvelle fois à réussir à dresser un lien en développant un thème effleuré en toute fin de son précédent "Country Hotel", celle de al différence des classes et l'impossibilité de pouvoir aimer. Choo dit ne pas pouvoir aimer Nien pour ne pas pouvoir lui offrir de train de vie correct, tandis que Nien est perdue dans son milieu social d'adoption durant la seconde partie du film. Une vraie issue dans une société thaïe assez hiérarchisée durant les années 1950s – et c'était d'autant plus vrai en plein plan économique" de très grande ampleur imposée par un régime militaire dictatorial, qui obligeait les jeunes de quitter les campagnes pour monter à la capitale et participer à l'enrichissement du pays en pleine expansion. Inutile de dire que beaucoup restèrent sur le carreau – et même si le cinéma était avant tout un divertissement populaire, c'était quand même des classes aisées, qui se déplaçaient pour pouvoir se payer le billet d'entrée. Le fait d'aborder un tel sujet et – surtout – avec autant de sérieux, prouvait donc une nouvelle fois la marginalité de Pestonji dans un milieu autrement plus formaté…et il reste une nouvelle fois fidèle à sa volonté d'élever ses films à une certaine forme d'Art en tournant en 35 mm, mais en plus en couleurs, alors que TOUT le restant des films à l'époque se tournaient en 16 mm. L'utilisation de ce standard de pellicule lui permettait également une prise de son directe et il ne se priva pas pour donner entière mesure au talent de musicien de ses deux protagonistes principaux, dont la chanteuse Pensri Poomchoosri.
Une autre exception, c'est celle d'avoir su évoquer le spectre de la guerre, encore dans toutes les mémoires depuis la fin de la Seconde Guerre et d'autant plus pressante avec les conflits asiatiques en cours et d'en faire pâtir les personnages principaux – une chose impensable par ailleurs dans un milieu extrêmement aseptisé, où le pouvoir en place encouragea même de réaliser les œuvres les plus positives que possible. Des hommes sacrifiés, le suicide et la déception amoureuse n'étaient absolument pas des thèmes à l'ordre du jour à l'époque et même si l'intrigue peut sembler niaise, elle est pourtant extrêmement "osée", même si Pestonji a su "oser" davantage dans d'autres de ses films.
Enfin, l'histoire de Nien et Choo est extrêmement touchante. Une première partie un peu longue à démarrer, elle a quand même pour mérite d'accorder tout temps nécessaire à la belle présentation de ses personnages et Pestonji réussit en quelques séquences à ressusciter la magie d'un Chaplin ou d'un Kurosawa ("Dodes Kaden", "Les Bas-Fonds") à représenter une certaine idée de la pauvreté de manière extrêmement simple, peut-être naïve, mais ô combien juste et évitant tout spectaculaire pour faire de ses personnages des êtres d'exception, auxquels on s'attache sans jamais les plaindre.
Mais plus encore, que l'intrigue, c'est véritablement la musique, qui est au cœur de ce film. Omniprésente, Pestonji réussit parfaitement à l'intégrer à l'histoire elle-même, les paroles des chansons traduisant à la fois les profonds sentiments des protagonistes, qu'elles ne font avancer l'action en elle-même. Une manière à faire, qui aura profondément inspiré Wisit Sasanatieng et Pen-ek Ratanaruang, réalisateurs proclamés fans de Pestonji – et l'on comprend pourquoi en voyant ce "Dark Heaven" certes mineurs dans la filmographie du réalisateur, mais pas insignifiant pour autant.