Xavier Chanoine | 3.5 | Quelques artifices visuels, mais une grâce bien présente |
Ghost Dog | 2.5 | Enfin un peu d’émotion |
Ordell Robbie | 3.5 | un beau journal intime sur pellicule (cf article Kawase) |
Et si Kawase prenait un malin plaisir à mêler fiction et autobiographie? Le mystère est permanent chez cette réalisatrice, douée et opportuniste, mais douée tout de même, et Dans le silence du monde en est l'un des exemples les plus parfaits, puisqu'il retrace officieusement/officiellement le parcours d'une jeune femme qui n'arrive clairement pas à faire le deuil de son père, ou du moins à chercher les raisons mêmes de son existence, au travers de remises en questions aussi nombreuses que dispensables pour le spectateur, dans la mesure où comme dans Dans ses bras, toute cette histoire ne regarde que Kawase Naomi et rien qu'elle. Est-il donc utile de faire partager ses états d'âme au spectateur? Est-il même possible de caser son oeuvre dans une catégorie prédéfinie? Il n'est ni question de documentaire (puisque le propos instructif demeure absent), ni même de court-métrage puisqu'on ne note pas la présence d'acteurs débutants ou confirmés à part peut-être, justement, la présence de Naomi Kawase dans son propre rôle. Et ce qui est pour le moins déroutant, c'est justement l'intérêt que Kawase porte à sa propre image. Elle ne fait pas forcément figure de victime à part entière, mais son statut de femme sensible à problème peut finir par peser et délivrer cette désagréable sensation d'être devant une personne un temps soit peu méprisante car hautaine et opportuniste dans sa démarche.
Une démarche pourtant saine, car proposant de sacrés beaux moments de cinéma, via une mise en scène légèrement mieux maîtrisée que Dans ses bras (même si les nombreux tremblements et l'absence de point peut donner le mal de mer) et surtout, presque onirique. Les plans-séquences au bord de la voiture rappellent parfois Weerasethakul, en moins bien, et pourtant ils dégagent aussi une aura mystique. Ce surnaturel se ressent aussi dans cette séquence où Kawase court nue dans la vallée après s'être fait tatouer comme un yakuza, sorte d'image de la délivrance, une délivrance d'un passé torturé. De plus, la Kawase morose et nostalgique arrive à être véritablement belle lorsque la caméra fixe son visage par un gros plan, et même si ces quelques moments de grâce sont plombés par les éternels gros plans du "vide" (une constante dans ses documentaires, qui passent bien mieux dans le long-métrage) sur une plante ou sur ses blessures, des effets de style qui semblent quelque peu vains. Finalement, Dans le silence du monde est un vrai objet de curiosité, parfois fascinant et touchant dans sa démarche de faire fuire les vieux démons d'une cinéaste alors déjà reconnue par ses pères, et qui même imparfaite, recèle de vrais beaux moments de cinéma.
Ce moyen métrage autobiographique est la suite de Dans ses bras, réalisé en 1992, 9 ans plus tôt. On y apprenait le statut d’orpheline adoptée de Kawase Naomi et on suivait – péniblement – avec elle la recherche de son père biologique. Ici, ce père qui l’a abandonnée vient de mourir, et la réalisatrice est à nouveau détruite intérieurement, ce qui la pousse à se raconter une nouvelle fois grâce à la caméra. Mais cette fois-ci, les images sont moins gratuites, elles signifient véritablement quelque chose et se marient assez bien avec les dialogues en voix off d’une mère tentant vainement de lui expliquer pourquoi elle a laissé le soin à une autre de l’élever. Kawase touche le visage de sa mère comme pour se convaincre qu’elle provient bien de son utérus, fait se succéder des images végétales à des feux de forêt pour exprimer son manque de repères et la colère qui gronde en elle. Cette colère se métamorphose petit à petit en désespoir infini, sentiment magnifié par ce long plan des rues désertes de Tokyo sous la pluie filmé depuis une voiture : bien souvent, lorsqu’on est malheureux, cette sensation de vanité de la vie apparaît au volant de son véhicule, on a l’impression de rouler sans but avec la furieuse envie de se laisser aller dans le décor, de défoncer la barrière de sécurité pour en finir…
Et puis survient un décalage de ton radical lorsque Naomi se rend chez un tatoueur pour se faire graver sur le corps sa douleur intérieure. Cette dernière passe alors devant la caméra, et chose plus étonnante, intègre à son cadre des claps de cinéma et des micros, comme si elle se mettait en scène avec un côté manipulateur avoué. Autant dans la première partie, on était dans la réalité de son malheur, autant maintenant on se retrouve devant une fiction, fausse par définition. Alors, les gros plans sur le visage d’une Naomi qui souffre, digne des plus mauvais dogmes danois, ou sur son air hébété lorsque le tatoueur lui demande de bien réfléchir, ont sur nous l ‘effet d’une trahison, une trahison rappelant combien elle était nombriliste et prétentieuse dans ses précédents films, et qui met à plat toute l’ambiance qu’elle avait su créer pendant 30 minutes. Alors forcément, on s’irrite devant son entêtement à ne pas vouloir tourner la page d’un père mort 2 ans plus tôt, et on ne peut s’empêcher de songer qu’elle joue la comédie pour la caméra. En tout cas, si ce n’est pas le cas, peut-être devrait-on lui suggérer de laisser tomber un temps le cinéma et de se payer un véritable programme de psychanalyse et de sorties en boîte avec rencontres câlines à la clef, histoire de se décoincer un peu. Sinon, on court le risque de la voir débarquer dans 9 ans avec un nouveau documentaire sur sa douleur d’avoir perdu sa mère et des tatouages plein la tronche…
Malgré ce défaut, l’expérience de Dans le silence du monde est suffisamment atypique pour être vécue.