Légendaire hymne à la soumission
Fukasaku continue sur sa lancée d'expédier l'image du yakuza modèle au placard et d'y fermer la porte à double tour. C'est simple, rarement aura-t-on vu cette année pareils hommes, pareilles machines barbares et hystériques laissant étrangement de côté femmes et argent pour se consacrer à la vengeance, à la sérénité des clans. Ceci dit, un personnage comme Yamanaka éprouve à la fois des sentiments presque inestimables pour la belle Yasuko, femme au foyer et geisha à ses heures, et se retrouve finalement perdu entre son clan et les dires en prison qui lui montent à la tête. D'où l'installation d'une confusion, d'une folie qui s'emparera peu à peu de lui, le laissant aux portes de l'enfer, errant tel un chien sous la pluie à la recherche de la moindre personne à flinguer.
Dans ce brûlot sociétal juste ultra anarchique, Fukasaku explose littéralement le déjà très secoué Combat sans code d'honneur réalisé la même année, grâce à une galerie de personnages pimentée comme il faut, Sonny Chiba en bad guy disco (avant-gardiste notre Sonny national?) adepte de la tatane au bâton, et un étonnant Kitaoji Kinya interprêtant un yakuza livré à lui-même et aux erreurs qu'il commet. Mais en dehors de son message virulent envers la société japonaise, Deadly fight in Hiroshima comme son nom l'indique sidère par son caractère résolument violent (des descentes juste hallucinantes) et son approche de l'amour différente de ce que l'on peut voir habituellement dans le cinéma occidental.
Il y a toujours cet étrange compromis entre la haine et l'amour, rendant impossible la moindre tentative de fonder un foyer (interdiction de Yasuko de se remarier après la mort de son mari kamikaze), plongeant encore plus dans la misère humaine les principaux concernés. C'est en cela que ce second opus de la série des Battle without honor and humanity fascine. Cette alchimie parfaite entre un fond terrifiant et assurément bien foutu (nombre incroyable de personnages importants, scénario aux bifurcations diverses) et une forme juste remarquable avec un nombre incalculable d'informations à l'écran illustrant des images arrêtées et autres photographies.
Jingi encore...
En 1973, Fukasaku a déjà laissé son empreinte dans l'histoire du cinéma japonais. Avec Combat sans code d'honneur, il s'est offert un succès populaire et un premier aboutissement de ses expérimentation formelles entamées dans les années 60. Son regard réaliste, démythificateur sur le monde des yakuzas tranchant avec l'héroïsation qui était la règle dans les ninkyos a fait l'effet d'un coup de tonnerre dans le cinéma japonais. En offrant sa propre relecture de l'histoire du Japon de l'immédiat après-guerre, il s'est retrouvé en phase avec une certaine contestation étudiante et un certain radicalisme politique du Japon du début des seventies. Dans la foulée, Fukasaku va poursuivre son entreprise d'histoire du Japon racontée au travers des yakuzas avec quatre autres volets se déroulant entre le début de la guerre de Corée et celui des seventies.
Ce second volet commence avec le début de la guerre de Corée (1950) et s'achève au milieu des fifties. Pour ceux qui auraient raté l'épisode précédent, le film commence par enchainer à une vitesse folle les arrêts sur image sur de la voix off afin de résumer d'une manière typiquement fukasakienne les débuts de la saga. Par la suite, c'est parfois à coup de sous-titres indiquant rapidement leurs liens (de sang ou professionnels) avec l'univers des yakuza que les personnages seront présentés. On peut certes parfois se sentir perdu face à ce foisonnement de personnages mais c'est ce côté film-monde, Comédie Humaine du yakuza eiga qui fait déjà à ce stade le prix de la saga. Saga qui nous promène déjà d'une ville à l'autre pour suivre les ramifications du monde des yakuzas ou les "sanctions" de déplacements géographiques que subissent des membres d'un clan. Deadly Fight in Hiroshima, c'est d'abord des individus cherchant le bonheur le plus élémentaire (l'être aimé, avoir de quoi se nourrir et le nourrir) au milieu de circonstances chaotiques, d'un Japon entamant sa reconstruction.
Ce que Fukasaku exalte, c'est des individus prêts à tout pour survivre, pour essayer de "faire leur trou" dans ce contexte-là. Si l'affection de Fukasaku pour ces êtres à l'allure grotesque, dépourvus de manières et préférant la survie à la morale transparaît dans chaque plan, c'est parce qu'il voit en eux des figures d'énergie vitale, des êtres capables de faire table rase du passé du Japon, de faire repartir le pays à zéro. Chez Fukasaku, transgresser le jingi c'est transgresser tout ce à quoi il est lié historiquement et politiquement: on connaît les liens toujours vivaces entre yakuzas et extrême droite japonaise et l'obéissance aveugle au chef qu'implique le code d'honneur fait écho à celle d'un peuple à ses chefs politiques et militaires durant la Seconde Guerre Mondiale. Le chaos n'est pas pour lui une catastrophe mais une terre d'opportunités pour des individus qui chez lui se heurteront aux pesanteurs de la société japonaise. Dans Deadly Fight in Hiroshima, la jeune garde des yakuzas oppose au code d'honneur des aînés ses propres désirs: une jouissance de l'instant présent s'incarnant dans ses virées nocturnes, une volonté de prendre le pouvoir par la transgression et en faisant des vagues, avoir de quoi se nourrir et nourrir son foyer.
Deadly Fight in Hiroshima, c'est un film où un yakuza offre sa montre suisse à un jeune homme fougueux en gage de cadeau de bienvenue dans le clan. C'est aussi un film où tomber amoureux de la nièce d'un chef vaut bien qu'on transgresse la "loi du milieu". On peut risquer d'être sanctionné voire d'en mourir mais cela en aura valu la peine parce qu'on se sera prouvé qu'on était une figure de vitalité, qu'on aura pu intensément aimer celle qu'on voulait. Et les ambitions qu'on aura pu avoir se seront peut être crashées sur les pesanteurs des clans mais cela aura valu la peine de tenter de manifester son désir de survie. C'est en cela que le cinéma de Fukasaku n'est pas pessimiste: même si ce volet se finit dans la noirceur, il faut y voir du réalisme car si les destinées de certaines de ses "créations" sont vouées à l'échec ou au tragique les mots "renoncement à ses désir" et "tentatives vaines" sont exclus de l'univers du cinéaste. Cet amour du cinéaste pour des êtres figures d'énergie vitale n'est d'ailleurs pas sans évoquer les raisons de l'affection d'Imamura pour ses bons vivants du petit peuple nippon.
Que dire d'autre? Qu'on retrouve ce plaisir des personnages hauts en couleur, des gueules grotesques ou charismatiques déjà ressenti dans le premier volet. Ce côté permis par le foisonnement de personnages de la saga permet d'apprécier Sonny Chiba et Kaji Meiko dans des rôles conséquents. Cette dernière campe en particulier un personnage de femme qui fut amoureuse de son mari kamikaze au départ d'une douceur surprenante par rapport à ses rôles dans le cinéma d'exploitation de l'époque. Mais qui se révèlera capable de dire ses quatres vérités au clan. Et à la douceur succèdera une rage toute aussi bien campée par l'actrice. Rappeler que même si le film a ses petites longueurs et ses moments de calme il offre un beau festival de Fukasaku's touch d'une formidable énergie: zooms et téléobjectifs délirants, grands angles, caméras à l'épaule nous immergeant à l'intérieur de l'action et de son chaos. Qu'on a aussi plaisir à retrouver Hirono/Bunta Sugawara ainsi que quelques thèmes déjà évoqués par le précédent volet: les liens yakuzas/police, la description de l'envers du miracle économique nippon en marche.
Avec ce second volet, un grand du cinéma japonais se maintient au sommet. La saga peut continuer sa route à travers l'histoire du Japon à coup d'audaces formelles et d'une sincérité désarmante.
Note Globale d'estime de la série: 4.75/5
Notes séparées de chaque volet:
Combat sans code d'honneur: 4.5/5
Deadly Fight: 4/5
Proxy war: 3.5/5
Police Tactics: 3.75/5
Final Episode: 3.75/5
Young Yakuza Kamikaze
Suite de la réponse nipponne au "Parrain" de Coppola et de l'une des plus belles sagas mafieuses mondiales.
S'attachant toujours à mettre en filigrane faits historiques (du début de la guerre en Corée jusqu'au milieu des années 1950) et développement mafieux, l'intrigue s'attache également à l'histoire d'un nouveau-venu dans l'univers impitoyable du gangstérisme et de son impossible histoire d'amour. Sa fibre romantique contrebalance un peu l'arrogance burinée de ses aînées et lui réserve un sort peu enviable en fin du film. C'est que pour réussir dans le "milieu", il faut faire abstraction de tout "honneur et humanité" comme le précisait déjà le titre du premier volume.
Cette dure leçon de vie pâtit un peu face aux manipulations mafieuses autrement plus excitantes, mais le sombre final fait instantanément oublier toutes les faiblesses de rythme.
Moins intense que le premier mais excellent malgré tout
Avec un casting parfait (Sonny Chiba en bad guy comme toujours, Bunta Sugawara égal à lui-même et Kaji Meiko, sans commentaire) mais avec une violence moindre. Le film est plus linéaire également, il n'y a pas cette folie furieuse qui dynamitait le premier Jingi naki tatakai et en faisant une réussite parfaite. La vista de Fukasaku est toujours là, bien sur, de même que l'aspect "comédie humaine du crime", donc au total un très bon film malgré sa folie plus douce (tout est relatif bien sur)!
Nouveau carnage chez les Yakusas !
Sous un autre angle de vue, FUKASAKU continue donc l'histoire en recentrant la focalisation du scénario sur Hiroshima et une autre famille de Yakusas qui devient le centre des agitations : le clan Muraoka.
Comme avec Hirono chez les Yamamori à Kure, Yamanaka devient à son tour le personnage principal de ce volet, en croisant souvent d'ailleurs Hirono :)
Bref, l'histoire se répète inlassablement entre guerres de pouvoir, tueries sanglantes... et les temps libres : filles, alcool et cigarettes !
On retrouve donc le très bon SUGAWARA Bunta, mais aussi les excellents Sonny CHIBA et Meiko KAJI. Les prises de vue et l'ambiance générale sont uniques, le travail de FUKASAKU est de qualité, comme d'habitude.