En dépeignant la vie d'un couple étalée sur plusieurs années, du bonheur de tous les jours à la fausse-couche de la jeune femme entraînant une longue période de dépression pour finir vers le retour du bonheur simple, artistique, Hashiguchi Ryosuke est l'auteur d'une chronique sentimentale évitant le piège de la comédie dramatique facile. Si le film met un certain temps pour démarrer, mettant davantage en avant la nouvelle profession de Kanao (un travail qui consiste à dessiner des croquis d'audiences de tribunal) plutôt que les difficultés du couple même, c'est plus pour décupler, et de manière frénétique, l'émotion d'une douleur qui s'annonce terrible : la jeune femme, Shoko, perd son enfant et semble incapable d'en avoir de nouveau. Elle s'enferme alors dans une bulle hermétique, transpire à la moindre présence d'enfants (ceux de son frère jusqu'aux gamines sur son lieu de travail), semble résignée à aller de l'avant jusqu'à devenir superstitieuse de peur qu'un nouveau malheur arrive à son entourage. Mais paradoxalement c'est la superstition qui désamorcera sa peur et éclipsera la grisaille après que Kanao ait écrasé une araignée chez eux. Parait-il que cela porte malheur. La jeune femme, effondrée et hystérique évacuera toute la douleur enfouie en elle depuis des années par l'intermédiaire d'un plan-séquence bouleversant. Non pas que le film se soit trop étiré en longueur avant cette séquence, mais peu de scènes n'avaient réussi à être d'une telle intensité. Plus tragi-comique, la première partie exposait surtout le travail de Kanao au sein du tribunal (dont un hilarant clin d'oeil à la réactivité de la presse nippone lors du premier jour de travail, montrant des journalistes dans les starting-block prêts à se grimper dessus pour être le premier à lâcher telle ou telle information), où les pires saloperies défilent face au juge sous le regard attentif des dessinateurs, les rapports de Kanao avec sa belle-famille, l'étrange relation entre Shoko et sa mère.
Le film vire alors vers une approche poétique du sujet, Shoko reprenant goût à la vie grâce au goût si parfumé d'une tomate de son jardin et découvrant la peinture, passion visiblement transmise par son ami : elle y dessine petit à petit des fleurs qui s'épanouissent, témoignant de sa (re)naissance. Elle redécouvre le monde et ne passe plus son temps affalée sur le canapé à broyer du noir tandis que son mari voit défiler au tribunal des cas de plus en plus douteux. Ce dernier a la force nécessaire pour affronter ce genre d'évènements, tout comme il est l'homme de la situation en tentant de relativiser la malédiction qui semble régner sur son couple. Son personnage est intéressant même si parfois son absence de réaction tend à plaindre la jeune femme d'avoir un tel ami, trop distancié et pas assez réconfortant. Quant à elle, la couleur est annoncée rapidement : une léchouille sur son mari pour savoir s'il dit la vérité ou non, un planning pour prévoir quand on fait l'amour etc. Sa famille n'est pas en reste, entre un frère parfois méprisant (excellent Terajima Susumu) et une belle-sœur aux mauvaises manières. Film d'une simplicité déroutante, il fallait bien un sens de la narration aiguisé pour intéresser le spectateur et une certaine humilité face à un sujet plus grave qu'il n'y paraît pour ne pas tomber dans la critique facile. L'auteur ne prend d'ailleurs pas directement parti pour l'un ou pour l'autre, il évoque simplement la vie, ses difficultés et la possibilité de surmonter n'importe quel obstacle du moment que l'on a un minimum d'amour pour autrui et de courage face à la résignation. Visuellement, le film est au-dessus de la moyenne malgré un aspect assez terne : le découpage est admirable et la photographie jouit d'un vrai sens du cadre. A ce sujet la poignée de plan-séquences éclabousse le film par l'émotion qu'ils suscitent, le rendant davantage authentique. C'est là l'une des forces du film, celle de ne pas mentir sur les personnages, de les découvrir peu à peu jusqu'à un dernier quart d'heure extrêmement réussi et parfaitement dosé entre happy-end tout sauf niais et bilan de la situation. A noter une musique signée Akeboshi, musicien doué et auteur d'une sublime chanson clôturant les débats de bien belle manière. On pensait passablement s'ennuyer durant les 2h20 que constituent le métrage, on aura finalement du mal à quitter tout ce beau monde.
Le film d’Hashiguchi fut le rayon de soleil inespéré d’un Festival de Deauville plutôt tristounet. All around us est le genre d’œuvre qui vous prend dès les premiers instants pour ne plus vous lâcher jusqu’à la fin. En partageant le quotidien d’un couple sur une dizaine d’années et pendant 2h20, des liens indéfectibles avec les personnages se créent immédiatement : Kanao, jeune homme un peu décalé qui relativise énormément les drames de la vie, a la cool-attitude ; Shoko, sa femme, est nettement plus stressée, doute de tout et ne parvient pas à se remettre de la perte de leur enfant ; quant à sa famille, elle ne fait rien pour lui faciliter la tâche…
A travers des plans séquences exceptionnels de maîtrise, permettant aux acteurs de se livrer totalement et de susciter une émotion palpable, à travers une histoire simple, une bonne dose d’humour et des mélodies qui trottent longtemps dans la tête, Hashiguchi célèbre à sa manière la Vie et l’Amour dans un tourbillon implacable d’espoirs et de joies d’abord contenues puis pleinement révélées. Un grand et beau moment de cinéma.
Mise à part les traditionnelles longueurs pour dépasser la sacro-sainte longueur des 2 heures chère à tout bon film moderne, All Around Us réussit là où une majorité de films échouent: raconter une histoire assez simple mais pas vaine pour autant, avec à la fois sérieux et humour, sans jamais sombrer dans la prétention, la facilité ou l'excès. On pourra évidemment critiquer les longueurs dans la fin de la première moitié, le message se répète et on a même peur de voir le film sombrer dans le pathos. Mais la seconde partie revient heureusement aux bonnes dispositions du début, càd un humour percutant qui évite justement le pathos que le sujet pouvait pourtant amener. Jamais le film ne sombre dans le pessimisme et la noirceur que l'environnement du couple pouvait apporter (avec les procès glauques à répétition), grâce à cet humour justement ainsi qu'à Kanao, personnage au un calme reposant. Au contraire il fait preuve d'un optimisme qui ne verse pas non plus dans la naïveté ou le rose bonbon. La réalisation fait preuve d'une simplicité à l'efficacité maintes fois démontrée, laissant les (bons) acteurs nous livrer de longs plans séquences tragico-comiques assez impressionnant.
Simple, touchant, hilarant par moment ("les petits mains, c'est pratique"), le coup de coeur du festival de Deauville 2009.