Un complément intéréssant à l'Empire des Sens
La véritable histoire d'Abe Sada est basé sur le même fait divers que L' Empire des Sens. La force du film est de ne jamais essayer de se mettre en compétition avec le classique d'Oshima, ce qui fait qu'il ne pâtit à aucun moment de son ombre. Car là où Oshima montrait des personnages livrés à leur passion, isolés du monde et menant grand train, Abe Sada se situe dans une modeste auberge et inscrit la passion dans le quotidien: le désir de meurtre de Abe Sada est montré comme existant dès le début du film où elle menace au couteau son amant, puis dans les scènes où elle l'étrangle pendant l'acte et s'arrête toujours de l'étrangler lorsqu'il est à deux doigts de la mort, le film insiste aussi sur les rapports du couple avec le propriétaire de l'auberge, les servants, la radio diffusant des appels à l'obéissance de l'empereur ancrent le film historiquement, on a également un homme qui entretient Abe Sada et sera un des détonnateurs de la jalousie du couple.
On a également de grosses différences du point de vue narratif: la narration du film d'Oshima était classique ici le meurtre de son amant (la castration est suggérée mais montrée dans sa durée contrairement à Oshima) est suivi d'un flashback sur le passé d'Abe Sada composé d'arrêts sur image tout à fait dans le style du cinéma d'exploitation de l'époque, les chansons jouent un rôle de voix off d'Abe Sada et contrairement à Oshima Tanaka continue le film après la castration et développe ce qui n'était que quelques lignes du final de l'Empire des Sens. En effet, il va nous montrer la cavale d'Abe Sada, son arrestation finale, la jouissance qu'elle a d'avoir toujours sur elle le pénis découpé de son amant. Si le lien sexe-mort était évident chez Oshima, la fin du film renforce ainsi l'idée de Bataille selon laquelle "l'érotisme est l'acceptation de la vie jusque dans la mort". Car Abe Sada continue à aimer passionnément son amant au travers de ce pénis qu'elle ceinture autour de sa taille et qui devient le centre de tout son corps, le symbole de son amour pour l'homme qu'elle se prépare à rejoindre dans l'au-delà (au masseur qui lui demande les motifs du meurtre, elle répond que le couple voulait montrer au monde l'étendue de leur amour). Le meurtre était pour elle le seul moyen de fusionner avec lui (ce qu'indiquent les caractères gravés au couteau sur le corps du défunt) et c'est ce meurtre qui en fait paradoxalement l'homme de sa vie. . Là où Oshima se concentre sur le bref instant de la passion, Tanaka la montre dans toute sa durée. Au niveau de la mise en scène, Tanaka est moins classique qu'Oshima: cadrages penchés, caméra portée tremblant au rythme du désir du couple, caméra cheminant au travers d'un couloir avant d'arriver au couple faisant l'amour comme pour nous placer dans la position du servant qui les surprendrait durant l'acte ou passant en revue le modeste mobilier de la chambre avant de se recentrer sur l'acte, mouvements de caméras rapides reflets de l'excitation, plans au travers d'une fenêtre afin de montrer que les personnages ne sont pas totalement coupés de l'extérieur.
La véritable histoire d'Abe Sada offre un passionnant point de vue alternatif sur une affaire ayant défrayé la chronique du Japon de 1936. Il appartient aux réussites majeures du roman porno des années 70.
Mieux vaut ne pas comparer mais...
Impossible de regarder
La véritable histoire d'Abe Sada sans chercher à le comparer à
L'empire des sens. Le problème c'est que ce film ne tient absolument pas la comparaison face au classique d'Oshima. La question que l'on peut se poser c'est pourquoi faire un film sur un scénario déjà traité de façon prodigieuse ? Le pari est risqué et l'on est presque sûr d'échouer. A son corps défendant le réalisateur s'écarte de son prédécesseur en allant plus loin sur le personnage d'Abe Sada. Il tente de présenter sa vie passée mais aussi surtout s'attarde sur l'après, sa cavale jusqu'à son arrestation par la police. Mais c'est là oû le bât blesse. Abe Sada reste suffisament raisonnée pour s'enfuir, se cacher alors qu'Oshima en faisait un personnage véritablement fou d'amour et de passion, dont l'acte meurtrier n'était que l'entrée dans une folie totale, sans espoir de retour à la raison.
En tentant de se démarquer d'Oshima, Noboru Tanaka ne fait que rendre plus évidente la faiblesse de son propos.