Coliques birmanes
… pour pauvre occidental en partance pour Rangoon.
Myanmar : Nom officiel depuis 1989, adopté par l’ONU.
Birmanie : Ancien nom toujours utilisé par les pays qui ne reconnaissent pas le gouvernement de 1989. Tel que la France l’Australie, Les Etats-Unis…
La branche
Shampooing de l'éditeur
Delcourt, dirigée par
Lewis Trondheim, succède à
L'Association pour cause d'engueulades internes là-bas. Trondheim: "
Ca lave la tête et ça fait des bulles. Shampooing, c'est pour les grands qui savent rester petits et les petits qui veulent devenir grands". Du coup, hop, venez-y voir par là m'sieur
Guy Delisle.
Partons des quelques mois passés à
Pyongyang, Corée du Nord, pour nous envoler vers la Birmanie dans l’objectif cette fois d’y rester une bonne année. En n’oubliant pas de passer par Paris et de mettre dans les bagages, for the first time, femme et jeune enfant de notre auteur. Progression de vie engendre évolution du « personnage ». L’occidental anciennement perdu seul à Shenzhen et Pyongyang ne l’est donc plus tant que ça, n’allant pas chez les birmans - les vilains de
Bang Rajan - pour une mission d’animateur, son métier, mais pour suivre sa moitié, membre d’une ONG. Du coup c'est elle qui le met dans ses bagages.
A l’identification de stopper nette ou de suivre la musique selon que le lecteur évolue de la même façon ou non. Femme et enfant inclus. Il est d’ailleurs amusant de comparer cette progression à celle du dessinateur
Manu Larcenet, qui vient de nous sortir son quatrième tome de son
Combat ordinaire et qui, lui aussi, se montre avec femme et enfant. Nos deux avatars Delisle/Larcenet, représentés comme à la fois naïfs, humbles et bienveillants, dévoilent soudain une culture francophone identique, en même temps qu’un état des lieux générationnel intéressant.
Excellent titre que celui-ci, avec un seul et bon mot pour annoncer la structure de la BD : « chroniques ». Le carnet de voyage donne lieu à de très courts chapitres, chacun là pour exprimer une vision, un souvenir, une anecdote, une pensée, une blague, un détail culturel, politique… Il est plaisant de suivre les pérégrinations de cet homme se voulant au maximum ouvert, toujours curieux, enfant de 40 ans charmé de petits riens mais lucide sur son environnement. Sans s’improviser juge pour autant. Monsieur a déjà mis les pieds en Corée du Nord et certaines choses le choquent un peu moins. Ce qui ne veut pas dire qu’il les néglige pour autant.
- Guy Delisle (étonné) : C’est dément tout ce trafic juste en face de la maison. Dans une petite rue, il y a des gros bus qui passent à toute vitesse.
- Membre de MSF (fume, blasé) : C’est parce que la route principale est bloquée plus haut au niveau de la maison d’Aung San Suu Kyi(*). Alors ils font le détour.
- GD (curieux) : Elle habite juste à côté ?
- MSF (constant) : Au bout de la rue et puis à droite, c’est à deux pas.
- GD (songeur) : Incroyable, un prix Nobel de la paix, juste au coin de la rue. Quoi qu’à bien y réfléchir MSF aussi a reçu le prix Nobel de la paix. En 1999. Ca en fait deux presque voisins. C’est rare, ça.
Je n’ai pas pu lire cette BD d’une traite comme j’avais pu le faire sur
Shenzhen et Pyongyang. Parce que la durée du séjour était plus importante, ces épaisses chroniques passent souvent du coq à l’âne et l’absence totale de trame nuit à l’attrait entretenu, tout en encourageant l’intérêt passager et régulier. Le fait que l’auteur y soit un tant soit peu heureux joue en sa défaveur, on n’atteint pas là le sentiment fort d’enfermement et de solitude qu’on avait pu ressentir sur Pyongyang, en total vase clos, ce qui n'est pas le cas de Rangoon. Tout est relatif. On se rabat sur des descriptions géographiques, les anecdotes passionnantes qu’il nous raconte sur les ONG en manœuvre là-bas, ses témoignages et, surtout, cet esprit qu’on aime partager – ou non – selon nos accointances avec le bonhomme.
Guy Delisle en parle à l'occasion d'Angoulême 2007.
(*) Aung San Suu Kyi fait figure de rare récurrence dans la BD. Sa situation a fasciné Delisle. Extrait du portrait en lien ci-dessus vers
Nobel-paix.ch :
"Influencée par la philosophie et les idées du Mahatma Gandhi et de Martin Luther King, Suu Kyi et ses amis politiques fondent, en 1988, la Ligue nationale pour la démocratie (LND). Son engagement, non violent, en faveur de la mise en place d'un régime démocratique lui vaut un grand succès auprès de la population. Ce succès va amener, en 1989, la junte militaire au pouvoir à assigner Suu Kyi à domicile afin de diminuer son influence, mais cette mesure ne va pas empêcher la LND de remporter presque 80% des sièges lors des élections de 1990. Les militaires au pouvoir vont refuser le résultat démocratique sorti des urnes et vont au contraire augmenter la répression et les persécutions vis-à-vis de l'opposition et des minorités ethniques. Malgré cela, Suu Kyi, appelée «la Dame», continue de résister."
Bonus pas caché: extraits du discours écrit par Mme Aung San Suu Kyi et prononcé le 21 novembre 1994 à Manille.