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Deux ans après son magnifique et bouleversant "Mee Pok Man", Erik Khoo revient à la réalisation pour signer ce qui s'apparente presque à une suite, du moins à une parfaite continuité de son œuvre.
Ce film est une date importante dans le cinéma singapourien, ayant été le premier film du pays à avoir été sélectionné au Festival de cannes et replaçant le pays sur une carte mondiale, donnant à certains l'idée de réinvestir quelque argent dans la production locale proche de zéro. L'incroyable succès historique de la comédie locale "Money no enough" de Jack Neo allait compléter et accélérer cet état de fait.
"12 Storeys" présente plusieurs familles habitant un seul immeuble (de douze étages) au cours d'une journée de dimanche. Chacun a ses petits soucis, métaphores du mal-être singapourien de la récession économique de l'époque, et de leur crise d'identité en général.
Le film trouve une prolongation par rapport à sa précédente œuvre dans le portrait d'un côté plus obscur (et caché) de la ville Etat. Loin de pouvoir prétendre au bonheur apparent et à l'indéniable succès économique prôné par l'Etat, les gens se cherchent, craignent, sont perdus. Certains personnages de "Mee Pok Man" – tel le mac (Lim Kay Tong) – font un caméo et abordent ouvertement les événements du précédent film – sans que l'on soit pour autant dérouté, quand on n'a pas vu le film; mais Khoo assoit un véritable petit univers propre.
Curieusement – et contrairement à son précédent ou à son suivant – il fait énormément parler ses personnages. Sans doute un besoin de "communiquer" pour pouvoir s'identifier à travers autrui et/ou pour se rapprocher de l'autre, tous les personnages parlent sans détours. Parfois ils parlent pour cacher ce qui se cache véritablement derrière leur façade impassible; souvent ils expliquent ouvertement leur mal-être. Si cela est une récurrente dans les films singapouriens (jusque dans les comédies populaires, où le gros de l'action passe par des échanges verbaux à la table d'un café), Khoo fait preuve de plus de talent dans ses habituels longs silences.
Il n'empêche, qu'il fait passer quantité de messages pour celui qui connaîtrait un tantinet la ville Etat, ne serait-ce que par le portrait de familles habitant ces immeubles types construits dès les années 1960 par le gouvernement pour assurer électricité et eau courante à tous – habitations parfaitement interchangeables dans lesquels vivent encore aujourd'hui près de 80% de la population.
Le 12e étage fait ouvertement mention au dernier étage de ces immeubles, lieu de drame des nombreux suicides, également évoqués dans les films du futur poulain de Khoo, Royston Tan.
Un film important, forcément en deçà de la force de son précédent, mais osé témoignage d'une génération et d'une époque par un des cinéastes les plus importants du renouveau du cinéma singapourien.
A noter l'incroyable interprétation de Jack Neo, futur "golden boy" de la comédie singapourienne, dans un premier rôle sur grand écran à contre-emploi tout en retenu de ses compositions guignolesques habituelles à la télévision – sans aucun doute son meilleur rôle à ce jour.