Parvient difficilement à décoller
Après Sone, Tanaka et Ikeda, c’est au tour de Ishii Takashi lui-même de réaliser le 5ème épisode de la série Angel Guts, lui qui en était l’initiateur à travers son manga et ses différents scénarios. Cette fois-ci, Nami est une infirmière, qui va une nouvelle fois connaître des sévisses sexuelles et des humiliations morales avant de tomber sur Muraki, un homme d’affaires à la dérive. Ce dernier est incarné par TAKENAKA Naoto, acteur hardcore présent dans de nombreux films violents et caméo de luxe à ses heures perdues.
Outre le fait que la lassitude commence à gagner (5 fois la même histoire d’amours violents et impossibles, et de scènes de sexe), le film d’Ishii parvient rarement à captiver, notamment pendant une bonne demi-heure trop statique où l’ennui gagne rapidement. Le dénouement opportuniste et téléphoné achève de décevoir ; un épisode vite oublié.
Eros & Thanatos s'envoient en l'Air !
1978, Le jeune gekigaka Takashi Ishii voit le premier tome de son long roman graphique Angel Guts adapté à l'écran par la Nikkatsu avec High-Scool Co-Ed, signé Chûseï Sone. Puis, il écrit son premier véritable scénario pour le cinéma ; Red Classroom, toujours réalisé par Sone. Il écrit dans la foulée le thriller Nami pour Noboru Tanaka et le très S.M. Red Porno pour son ami Toshiharu Ikeda. Après une année à essayer de développer "Double Suicide à Shinjuku" pour l'ATG, Ishii se fait une raison, la réalisation qu'il espère tant depuis l'enfance, ne sera pas pour tout de suite. Il écrira en parallèle un scénario du nom de "Butterfly", sur une brève histoire d'amour entre un homme criblé de dettes aux abois et suicidaire et une jeune prostituée qui vient de tuer son proxénète. Voyant à travers ce scénario l'aboutissement à l'écran de ses obsessions, Ishii en écrira des variations ("A Midsummer Night's Death" où l'on suit les dernières heures d'un flic undercover) ou bien reprendra des éléments pour d'autres films (A Night in Nude aura le même point de départ ; le meurtre du mac par sa protégée). Un projet qui le suivra durant plusieurs années...
1985, le cinéaste Shinji Somaï demande à son ami scénariste de lui écrire ce qui sera son seul pinku. Ishii lui offre une des premières versions de "Butterfly" et le film deviendra Love Hôtel. La suite appartiendra à l'histoire !
1988, Ishii scénarise pour son ami Toshiharu Ikeda l'énorme film d'horreur Evil Dead Trap, mais s'il ne participe pas à la fin du film, le métrage porte sa marque. Le succès donnera à la Nikkatsu l'occasion de lui donner ce que l'auteur n'espérait plus ; la réalisation d'un film !
S'il connait les contraintes de la réalisation d'un Roman-Porno (une seule semaine de tournage), surtout en cette dernière année du cycle (la Nikkatsu prépare déjà l'après Roman-Porno avec le Ropponica, plus soft et moins exploitationiste), il aura tellement pensé ce film, qu'il le réussira au-delà des attentes des producteurs. Des plans fixes, des plans-séquences, un scénario très découpé, un nombre limité de décors (on est quasiment dans un huis-clos)… Ishii aura attendu l’âge de 42 ans pour pouvoir montrer à la face des gens ce dont il est capable derrière une caméra.
On a d'un côté Nami Tsuchiya, jeune infirmière qui vit son métier comme un sacerdoce, et modèle nue pour son fiancé Kenji, photographe… De l'autre, on a Tetsuro Muraki, comptable pour une société dont il a provoqué la faillite. L'une est victime d’une tentative de viol de la part de deux patients et surprend son compagnon en pleine adultère. L'autre est menacé par des yakuza et vient d'être quitté par sa femme. Ces deux âmes brisées se heurteront littéralement lors d'un accident de voiture, le second renversant la première...
La suite se déroulera en trois temps ; le premier étant la tentative, assez maladroite, d'approche qui virera au viol. Puis on a la longue "séquestration" de la jeune femme dans un entrepôt. Une longue partie qui aura des influences sur la sinistre, mais brillante seconde partie de Martyrs de Pascal Laugier, notamment avec ses très longs fondus au noir. Puis, après un long et lent apprivoisement sur le Tennessee Waltz de Jo Stafford, le couple improvisé vivra, dans un hôtel loin de tout, une relation courte, mais très intense, à l'image de Kyle Reese et Sarah Connor. Jusqu'à ce que la réalité de la vie ne rattrape le pauvre Muraki dans une station-service.
Pour un premier film tourné en une semaine, on a des mouvements grues incroyables, une technique héritée de ses années dans le Gekiga, on sent vraiment qu'Ishii a, pour son premier film, bien préparé son terrain et aussi qu'il a vraiment porté ce scénario en lui.
La belle Mayoko Katsuragi donne à Nami toute la mélancolie d'une jeune femme bafouée dans sa chair, dans son âme… Naoto Takenaka est déjà impressionnant dans le rôle du salaryman qui veut à tout prix quitter Tokyo pour échapper aux yakuza payés par la compagnie où il fût leur trader vedette et dont il aurait causé la faillite. On y retrouve aussi Jun Izumi, qui incarna Nami dans Red Porno et aussi la fameuse Femme aux Seins Percés, joue dans ce film son tout dernier rôle, celle de l'épouse de Muraki, avant de se suicider trois ans plus tard. Mais on retrouve également Akira Emoto dans un rôle court, mais important (en dire plus serait du Spoiler).
A l'image du Eraserhead de David Lynch, du Jericho Mile et du Solitaire de Michael Mann, du Pusher de Nicolas Winding Refn, du Little Odessa de James Gray, du Following de Christopher Nolan ou du Brown's Requiem de James Ellroy, un véritable coup de maître pour un tout premier coup d'essai.
Un film faussement austère, incroyablement riche, effroyablement romantique, dans la lignée de films comme John & Mary (en plus nihiliste), Le Dernier Tango à Paris, L'Important c'est d'Aimer et La Marge. Un authentique chef d'œuvre qui annoncera une œuvre fascinante et passionnante !