Malgré ses ingrédients alléchants, Love Battlefield se révèle au final une tentative inaboutie de retrouver ce qui fit en d'autres temps de HK une des plaques tournantes du cinéma de genre mondial. Le film commence d'abord par souffrir de retard à l'allumage : si Eason Chan et Niki Cheung sont tous deux déjà excellents dans leurs rôles respectifs, reste qu'une mise scène juste correcte, un score pas renversant et un scénario pas passionnant dans son premier tiers empêchent le film de véritablement décoller. Mais une fois qu'arrive le détonateur dramatique du film, Love Battlefield s'améliore grâce à ses idées de scénario (signé Szeto Kam) et aux prestations des acteurs. La mise en scène est cependant loin de convaincre: elle va osciller entre travail artisanal potable mais impersonnel et gros ratés. Des plans distants malvenus, un usage maladroit de la caméra à l'épaule et des ralentis clinquants font que la mise en scène n'évite pas l'affèterie, le tape à l'oeil.
Dans ses bons moments, le film devient un drame sur le couple, un film au ton très noir se faisant l'écho du contexte hongkongais de crise mais dont la noirceur n'exclut pas qu'au milieu de circonstances folles et d'une grande violence puissent se constituer des liens sincères entre des protagonistes qui ont a priori tout pour se détester. D'où un film où otages et ravisseurs ne se méprisent pas, un film où au milieu d'une histoire qui court vers une issue tragique subsiste un peu d'humanité. Et progressivement le score devient de plus en plus inspiré, faisant ainsi gagner au film de l'efficacité dramatique tandis que les acteurs s'investissent dans leurs prestations dramatiques avec une énergie et une sincérité qu'on croyait disparue du côté de Hong Kong. Pour aboutir à une fin abandonnant le cinéma de genre faisant que Love Battlefield redevient sur le fil de façon totale un film sur le couple comme pour nous rappeler qu'il était passé par le polar noir comme par une voie détournée qui aura donné plus d'épaisseur au drame de deux êtres qui se sont aimés.
Parmi les limites du film, on a justement son final invraisemblable. Final qu'on pourrait mettre sur le compte du « plus c'est gros, plus ça passe » qui peut parfois rendre un film hongkongais très émouvant surtout quand il est associé à un de ces slows mielleux quasiment indissociables de l'affection qu'on a pu porter au cinéma de genre made in HK. Mais autant ce genre d'argument est recevable dans le cas de cinéastes comme Chang Cheh ou John Woo dont les oeuvres prennent très vite dans leur narration des libertés avec le réalisme, autant il l'est un peu moins quand comme ici le film a été dans une approche réaliste le reste du temps. Ce final sent alors à une facilité narrative grosse comme une maison. Une des autres limites du film est d'avoir bien plus développé les deux « leaders » du gang que le reste des gangsters qui semblent là comme faire valoir.
Au final, on peut apprécier l'idée du polar HK que le film de Soi Cheang tente de retrouver. Mais malgré ses longueurs et facilités scénaristiques il y avait le potentiel pour faire mieux avec un styliste de talent aux manettes. Chose dont manque cruellement le cinéma de Hong Kong post-rétrocession.
PS: Le vrai problème du film est de croire que reprendre les ingrédients des polars HK tournés peu de temps avant la rétrocession suffit à retrouver une partie de leur charme. Or ces films-là, même s'ils n'étaient pas le plus souvent supérieurs côté exécution et écriture scénaristique à ce Love Battlefield, avaient pour eux d'être portés par leur époque. Quelque chose allait s'éteindre avec 1997 et le cinéma populaire HK faisait un dernier inventaire de ce qu'il avait été avant liquidation.
Certes, Love Battlefield n’est pas un polar comme les autres ; il s’en dégage par l’aspect très humain proféré aux personnages, notamment le couple au centre de l’intrigue dont une dispute idiote les séparera à jamais suite à une prise d’otages cauchemardesque. Un couple sympathique donc, mais pas seulement, car les malfrats ont également une âme, et leur dimension tragique et fataliste les rend également attachants malgré leurs mauvaises actions. Tout cela aurait pu donner un bon mélodrame, à la seule condition que le réalisateur reste sur la corde raide en étant efficace tout en ne se vautrant pas dans le baveux. Malheureusement, ce n’est pas le cas : l’intrigue est plombée du début à la fin par des énormités de scénario conclues en beauté par un final absolument consternant et pouvant prétendre sans problèmes au Panthéon des dénouements les plus grotesques. Comment ne pas rester stupéfait lorsque Yui, qui arrive enfin à s’échapper de ses tortionnaires, s’arrête en plein milieu de sa course effrénée pour aller secourir une femme apparemment sur le point d’accoucher en pleine rue dans un endroit désert sans se douter que c’est louche ? Ou bien lorsque Ching tape à la vitre de la voiture en voyant Yui, se prend un coup de couteau mais continue de taper comme si de rien n’était ? Ou encore lorsque la femme enceinte réussit hors champ (là faudra m’expliquer…) à faire plonger sa voiture dans le port en y laissant Ching et en s’extirpant sans une égratignure ? Si on rajoute à cela des ralentis très laids soulignant sans délicatesse des moments cruciaux, on a bien envie de laisser ce « champ de bataille de l’amour » continuer sa guéguerre sans nous…
Cela fait maintenant près de dix ans que le cinéma de Hong Kong est en crise, que les fans vont de déception en déception, subissant des comédies jumelles en espérant retrouver "l'âge d'or", douce utopie pourtant tout à fait compréhensible. Le moindre film un peu attendu redonne un peu d'espoir, mais pour finalement souvent décevoir. Sauf que cette fois, il n'y a pas tromperie sur la marchandise. Soi Cheang avait laissé une très bonne impression avec ses Horror Hotline et New Blood, des films de genre bien traités, assez bien écrits, solidement mis en scène. The Death Curse avait semé le doute, accident de parcours ou bien nouvelle déception après les Dante Lam et autres Marco Mak? On avait foi en ce Love BattleField, annoncé à l'avance comme un film à suivre. Et pour une fois, on n'avait pas tort.
Love BattleField, c'est Breaking News, mais sans rigoler. Ce n'est plus du film "fun", avec du plan séquence pour en mettre plein la vue, des morts qui n font pas bien mal. C'est plutôt un drame sans concession, où la violence fait vraiment mal, une histoire très humaine où les personnages ne sonnent jamais caricaturaux, point commun aux (bons) films de Soi Cheang. Le point de départ est particulièrement efficace, au lieu de faire du couple Eason/Niki un couple modèle et romantique, il en fait un couple touchant car commun, avec ses problèmes et le sépare au pire moment. A partir de là, on observe deux groupes de personnes qui se rencontrent dans une situation extrême, et leur relations.
On peut bien sûr discuter quelques points, l'utilité de certains seconds rôles, un Raymond Wong qui apporte une touche d'humour pas forcément nécessaire, un certain excès dans les situations (le final, irréaliste mais qui passe en force), d'un rythme très posé comme toujours avec Soi Cheng, de quelques ralentis pas nécessaires. Mais le film joue sur une chose avant tout: l'émotion. Soit l'absurdité de la situation touche, soit le film perd son efficacité. Pour cela, il mise sur quelques "classiques", comme un thème musical réussi, avec une de ces fameuses chansons pop sirupeuses qui fonctionne pourtant à merveille (comme à la bonne époque, A Moment of Romance, hein les gars?). Viennent ensuite des idées de montage sympathiques, comme les sauts temporels qui désarmorcent tout suspense mais ne tuent pas pour autant l'émotion. On continue avec une photographie soignée (très froide, comme dans New Blood), une réalisation solide qui ne fait jamais d'épate mais soigne ses cadrages. On termine avec des acteurs dans le ton: Eason Chan est certainement énervant dans les comédies, mais il sait jouer dans des drames. Niki Chow confirme ce qu'on savait déjà d'elle (notamment chez Soi Cheang), et les acteurs chinois sont très bons comme souvent.
Mais ce qui fait assurément la force de l'ensemble, c'est le drame humain qui se joue et qui va crescendo au fur et à mesure que la violence augmente. Hors celle-ci est traitée à l'opposé des films d'action grand publique, on va progressivement jusqu'à l'overdose pour provoquer l'écoeurement. Les personnages deviennent alors des pantins désarticulés qui traduisent toute l'absurdité de la situation. Comme son joli titre le dit bien, on met l'amour sur le champ de bataille et on en retire plusieurs scènes d'une grande puissance émotionnelle. Le final est évidemment extrême, mais c'est en poussant fort que le film passe en force, comme la majorité des bons mélos.
Soi Cheang revient donc sur les bons rails avec ce drame touchant. Le bon scénario de Szeto Kam Yuen (responsable de quelques navets comme The Longest Nite ou Too Many Ways to be Number One) s'allie parfaitement à des interprètes impliqués, et la mise en images et en musique se montre satisfaisante malgré quelques fautes. A suivre donc.
.Qu'est-ce que le "mélo" ?
Est-ce un certain traitement d'une oeuvre ? Est-ce un simple outil, au même titre que l'action ou la romance ? Ou bien est-ce un genre à part entière ?
Beaucoup diront que nombres de films peuvent être qualifiés de "mélodrames" ou même de "méloromances" (n'ayons pas peur d'inventer des mots, notre chère langue y est si propice...).
Mais est-ce un raisonnement qui tient ?
En effet d'après ce raisonnement assez simpliste, un film commme Love Battlefield serait vite étiquetté de "mélodrame actioner" ou quelque chose en approchant.
Or n'est ce pas réduire une oeuvre beaucoup plus complexe que cela en une simple et banale étiquette. Et en poursuivant cette logique,
A Better Tomorrow pourrait souffrir d'une semblable "classification" arbitraire.
Non, Le Syndicat du Crime est un polar ou un drame mafieux traité de manière mélo, au même titre qu'un Hana-Bi (la comparaison est hasardeuse, je vous l'accorde) est un drame social, un peu mafieux, mais traité par contre de manière ultra épuré (comme souvent au pays du soleil levant), faisant surgir l'émotion du spectateur au contour d'un simple dialogue ou d'un plan presque immobile, les non-dits et le jeu parfois muet des acteurs y suffisant ; alors que John Woo utilise le mélo pour susciter l'émotion, usant de musiques et autres dialogues très fort (commme celui de Chow Yun-Fat à la fin de ABT, achevé par une balle en plein tête juste devant Leslie), parfois un peu "clichés" dans des scènes souvent poussées à bout parfois presque irréalistes mais nécessairement "too much" pour faire mouche.
Et peut-être justement le "mélo" ou ce que certains autres pourrait appeler le "romantisme" est au cinéma de Hong-Kong ce que l'épuration d'effets et la pudeur est au cinéma nippon. Forcément le "mélo" ne vient pas sans certains aspects difficile à avaler (on remarque que les détracteurs de LB ont en commun cet argument d'invraisemblance), mais exactement comme la lenteur de rythme relative d'un Kitano en endormira plus d'un. On en revient là au coeur du plus grand débat du monde : "Des goûts et des couleurs, on ne dispute point" En tout cas, pour moi, Love Battlefield s'inscrit dans une lignée de grands films (A Better Tomorrow, A Moment Of Romance et bien d'autres) mais surtout des films cultes car reprenant les codes d'un genre central sans pour autant tomber dans la photocopie ni même la référence outrancière. C'est donc après de nombreuses années de "crise", ponctuées d'essais plus ou moins réussis ou même de certaines tentatives d'internationalisation dans le but d'un renouvellement du genre (je pense à des films comme Infernal Affairs ou Jiang Hu), que vient enfin le salut du polar Hong-Kongais. Avec One Nite In Mongkok et ce superbe Love Battlefield, l'année 2004 fut celle du "retour aux sources", un retour qui ne sera pas forcément de longue durée au vu du relatif echec de ces deux films au box-office local.
Les acteurs sont excellents au point même de donner des lecons de comédies à la plupart des acteurs Hong-Kongais "not qualified" comme le disait texto Lau Ching-Wan dans l'interview d'un certain redacteur... Eason Chan Yik-Shun, pourtant chanteur de formation (quoique que des types comme Leslie Cheung Kwok-Wing ont prouvé que cela ne voulait rien dire), déja très convaincant dans des comédies un peu ambigues comme Enter The Phoenix, montre un réel talent et participe ici très largement à l'effet "crescendo" insoutenable de la situation. Niki Chow Lai-Kei n'est pas en reste face à son compagnon tandis que les acteurs mandarins sont égalements très bons jusqu'à Raymond Wong Ho-Yin, dans son rôle pas très utile mais qu'il éxecute très proprement.
La réalisation de Soi Cheng Po-Shui n'est pas révolutionnaire mais apporte quelques effets sympathiques et se laisse porter par une musique pop objectivement pas si géniale mais tellement belle et efficace dans les scènes clés.
En Bref, grâce à un excellent scénario bien plus écrit que la grande moyenne actuelle, grâce à des personnages à fleur de peau interprétés par des acteurs brillants, grâce à une musique magnifique et un traitement général bien connu et terriblement efficace de réalisme même si paradoxalement mais volontairement un peu "too much" par moments, on ressent beaucoup de choses pendant ce film, ce qui est déja gage de qualité. Par conséquent, pour qui ne craint pas le "mélo", pour qui apprécie le polar Hong-Kongais avec toute l'invraisemblance et l'extravagence qui vient avec, Love Battlefield est donc un grand film à voir absolument.