On pourrait croire que depuis quelques années, les films les plus personnels et risqués de Jiang Wen ne sont plus, notamment après un virage artistique à 180° entamé après la réalisation des Démons à ma porte - un grand prix à Cannes en 2000 et une interdiction de sept ans de tourner – jusqu’au très étrange The Sun Also Rises. Let the Bullets Fly, au titre évocateur, continue sur cette nouvelle lancée sans toutefois perdre ce qui faisait la force de son film-couperet précédemment cité : dénoncer un système, une période, par le tragi-comique et à présent le spectaculaire, Let the Bullets Fly appartenant, au même titre qu’un Sacrifice ou If You Are the One II, à la veine des blockbusters hivernaux qui permettent au cinéma chinois de bien se porter en établissant un nouveau record de recettes sur l’année.
Bien que moins féroce dans son discours, sont évoqués ici bandits, lâcheté et corruption à travers des portraits de personnages aussi bien attachants que ridicules, et ce dès son introduction à bord d’un train dans lequel Tang (Ge You), en génial imposteur, exprime à forte voix son bonheur d’être entouré d’une jolie fille et d’une fondue chinoise traditionnelle. Le ton est rapidement donné, le style caractéristique de Jiang Wen de pouvoir s’exprimer à travers son montage et ses idées de mise en scène intéressantes : un premier plan permettant d’identifier la nature du personnage de Zhang (Jiang Wen) avec son énorme cicatrice sur la nuque preuve d’un passé de bandit clairement établi, le double personnage qu’incarne Chow Yun-Fat –bien que l’idée n’est pas assez exploitée, les séquences de shoot virant au Grand-Guignol, l’utilisation des sifflets en forme de langage codé, l’utilisation récurrente des tambours, le portail criblé de balles, tout est tellement disproportionné et bruyant dans cette impertinente comédie western qu’il n’est pas facile de trouver les éléments qui réconcilieront les détracteurs de The Sun Also Rises avec le cinéma de Jiang Wen, hormis une narration bien moins décousue. Le reste y ressemble beaucoup.
D’abord cette image aux couleurs saturées et au filmage/montage oscillant entre clinquant et virtuosité accompagnée de la bande-son de Hisaishi Joe, la même que l'on pouvait entendre dans The Sun Also Rises, cet appétit de cruauté sans toutefois tomber dans le cynisme grâce à la bonne dose de gags (la bande menée par Zhang priant devant la tombe du bandit numéro 6, les explosions gores) et d’allusions politiquement incorrectes, surtout si l’on replace le film dans son contexte historique. Avec Albert Yeung Sau-Shing au financement, patron d’Emperor Entertainment Group, il n’est pas impossible que le comité de censure chinois ait donné son aval au film de Jiang Wen là où d’autres se seraient cassés les dents. La réussite du film tient finalement de l’étrange rapport qu’entretient Jiang Wen au cinéma d’aventure codifié –ici le western nouilles, lui permettant de croiser son style relativement aiguisé et virtuose à une certaine finesse d’écriture, les dialogues et surtout l’interprétation de certains personnages étant parfaitement ciselés si toutefois l’on accepte le cabotinage. En même temps, hormis son bel essai sur la jeunesse durant la révolution culturelle (In the Heat of the Sun, 1994), à la fois sensible et touchant, le cinéma de Jiang Wen n'a jamais été très réputé pour sa politesse. Plus encore qu’avec The Sun Also Rises, Jiang Wen hurle son cinéma aux oreilles des cœurs sensibles. Vous êtes prévenus.
Connu pour son côté mégalomaniaque et sûrement encore meurtri jusqu'au plus profond de son âme pour son interdiction de pouvoir tourner pendant sept ans (plus conséquences) suite à la réalisation de son "Les démons à sa porte", Jiang semble vouloir prouver au monde, qu'il sait se mêler à l'actuelle course aux mega profits dans le cinéma chinois en réalisant l'ambitieux western chop suey, "Let the bullets fly". Coup de poker réussi de la part des producteurs, qui ont pris un certain risque à confier plusieurs millions de yuans au réalisateur incontrôlable, qui a d'ailleurs fait écrire une trentaine de versions différentes avant de donner son premier coup de manivelle et n'a pas hésité à construire des routes entières pour donner vie à ses visions.
En même temps, Jiang ne vend pas son âme au diable pour autant, son pastiche étant une nouvelle décharge à peine féroce contre un / LE système politique (chinois); le plus jouissif dans l'affaire, c'est que "Let the bullets…" peut effectivement être pris, au premier degré, comme un simple spectacle de divertissement ou alors, en creusant un peu, comme un pamphlet politique. "Formidable" ? Pas tout à fait, Jiang n'allant pas du dos de la petite cuillère en attaquant régime au responsables avec le même manque de tact, que ses "cowboys" leurs adversaires à grands coups de plombs.
Après une première partie au grand air, la seconde se mue rapidement en sorte d'huis-clos dans l'enclos d'une petite ville, lieu de tous les affrontements. L'action cède sa place à des longs bavardages, parfois inutilement explicatifs et TOUS, sans exception, hurlés pour appuyer faits et gestes de nos personnages passablement énervés. C'est d'ailleurs toute l'image qu'en donne le film: un film d'énervés, qui serait nulle part et partout à la fois et qui hurlerait pour mieux se faire entendre par le public médusé. Là encore, impossible de ne pas faire de parallèle avec la propre carrière de Jiang, qui balancerait un max d'infos pour lui éviter les reproches de "manque de compréhension" de son précédent "Le soleil se lève aussi" et qui hurlerait pour à la fois se faire entendre de son public et à la fois pour détourner leur attention de ce qu'il serait VRAIMENT en train de leur dire. Ce manque de finesse empêche malheureusement "Let the bullets…" d'accéder au statut de chef-d'œuvre auquel il aurait certainement pu prétendre, si Jiang s'était donné la peine de moins brosser ses personnages à grands coups de brosse caricaturaux, de mieux affiner son intrigue et de jouer davantage sur les faux-semblants et double-jeux.
En l'état, "Let the bullets…" reste quand même l'un des meilleurs pastiches de westerns dans la récente série de productions asiatiques comme le nippon "Sukiyaki Western Django", le thaï "Les larmes du Tigre Noir", l'indien "Quick Gun Murugan" ou le coréen "Le bon, la brute et le cinglé".