Yann K | 4 | Magnifiquement écrit et joué, subtilement mis en scène : à découvrir. |
Ordell Robbie | 2.75 | Pas assez émancipé... |
Flying Marmotte | 2.5 |
Jealousy is my middle name vient ajouter le nom de Park Chan Ok à celui d'autres auteurs coréens prometteurs. La réalisatrice fait ici preuve d'une vraie maitrise formelle pour une première oeuvre en ayant bien assimilé un certain classicisme à l'asiatique: création de la durée pour souligner le malaise des personnages, mise à distance des personnages pour souligner encore plus leurs paroles et amplifier l'émotion, passage de plan large à plan rapproché d'un personnage, usage de la focale pour mettre en flou un personnage en mouvement à l'arrière-plan, direction d'acteurs remarquable de retenue. Sauf que si tout cela est bien fait, cela manque quand meme de personnalité et finit par ressembler à une compilation de clichés du cinéma d'auteur asiatique des années 90. Qui plus est, l'alliance d'un scénario dépeignant le désir amoureux au quotidien dans toute sa complexité avec le style de mise en scène mentionné plus haut a tendance à évoquer le cinéma de Hong Sang Soo -avec en plus la présence de Moon Seong Kun dans le role du chef, ce qui fait un peu le meme effet que de voir un film de yakuza à la violence elliptique non signé Kitano avec Terajima Susumu- et alors que l'influence bien digérée d'un grand du cinéma coréen devrait etre une force du film elle en atténue l'impact parce que cette reprise n'est pas accompagnée d'un minimum d'idées neuves.
Jusqu'au dernier tiers où si les choix formels ne changent pas un élément vient éviter au film de rester au stade de film à l'allure un peu trop "bon élève de sélection festivalière": la dramatisation du jeu de actrices dont le contraste avec celui toujours effacé de Parl Hae Il en Lee Wonsang donne à cette partie un cachet très particulier, surtout que son seul moment de vraie prise de décision reflète encore plus son envie de partager sentimentalement et professionnellement la vie d'etre murs affectivement sans en maitriser les règles du jeu. Cette contradiction se retrouve dans les rapports de Lee Wonsang à l'éditeur, autant une figure de modèle qui l'effraie et le surpassera toujours -cf le malaise de Wonsang lors du karaoké tandis que l'éditeur embrasse celle qu'il aime ou dans la voiture lorsqu'il ne trouve pas de musique écoutable pour son chef- qu'un protecteur dans sa vie professionnelle et intime -cf la scène du choix de l'écrivain nord-coréen où l'éditeur se range au choix de Wonsang malgré son peu d'argumentation, le role de "conseiller sentimental" de l'éditeur sur la fin-, un etre maitrisant le jeu des rapports professionnels et amoureux.
Certes, la figure de jeune homme gauche exprimant ses frustrations par d'autres moyens que la violence physique qu'est Wonsang tranche avec les figures de machos bourrus vus chez d'autres auteurs coréens mais il n'en est pas moins quelqu'un qui ne respecte pas les femmes parce que son désir est uniquement régenté par sa jalousie donc par l'ego et pas par ce qu'est vraiment l'autre -cf les moments où il parle à une de ses conquetes de son obsession pour son ex en pleine étreinte, où il veut empecher l'une d'elles de coucher avec son chef-. Il faut également mentionner une des caractéristiques narratives du film, son gout pour la répétition. Répétition de lieux et de situations: une femme s'y fait ramener en voiture par deux hommes différents, les souleries entre collègues au karaoké, les discussions arrosées autour d'une table, la dégustation de brochettes dans la rue en "couple"...
Outre de susciter une concentration sur l'aspect psychologique, sur les changements d'un personnage au cours de situations se reproduisant -on voit là encore l'influence de Hong Sang Soo-, cela souligne encore plus la monotonie de l'existence de Lee Wonsang, sa sensation d'etre emprisonné dans sa vie intime et professionnelle. Sauf que ce choix n'est pas sans risque: durant ses deux premiers tiers, le film atteint trop bien son objectif et communique un peu (trop) de cette monotonie au spectateur, surtout qu'aucun élément du film ne la contrecarre; dans le dernier tiers où s'ajoute de la dramatisation, le film réussit à susciter cette sensation d'emprisonnement tout en étant plus captivant. Au rayon des défauts du film, on peut aussi ajouter les choix musicaux pas très clairvoyants: Pourquoi infliger au spectateur la Macarena? On me dira que les slows de Hero Movie sont de la guimauve mais ils collent bien au récit eux... Sans compter un instrumental blues qui ne dépareillerait pas dans un album de Cabrel. Heureusement que la musique n'est pas souvent présente...
Au final, si ce premier film a une belle tenue artistique et révèle un vrai tempérament de cinéaste, il partage malgré tout un des gros défauts du tout-venant de la production coréenne: le retard à l'allumage. Et s'il ne manque pas de qualités, reste qu'il est révélateur de la difficulté du cinéma d'auteur asiatique actuel à se renouveler: un style de cinéma contemplatif fait de quotidien et de non dits peut facilement servir de laisser passer pour les petits comme les grands festivals mais cela ne dispense pas d'essayer de lui rajouter des éléments neufs afin de le maintenir en vie, bref de faire fructifier un certain héritage -un peu ce qu'avait fait Tsui Hark par rapport au cinéma de la Shaw Brothers-. Là où certains cinéastes qui sont en situation d'utiliser leur style comme une carte de visite festivalière sont déjà ailleurs -Suwa, HHH, Tsai Ming Liang-, Park Chan Ok ne résout l'équation que sur la fin. Raison suffisante malgré tout pour espérer qu'elle vole de ses propres ailes par la suite.