Xavier Chanoine | 3.25 | Femme au bord de la crise de nerfs |
Ordell Robbie | 3.5 | Malgré une réalisation trop sobre, beau et prometteur portrait de femme. |
Des portraits de femme en cavale, ce n’est pas ce qu’il manque au cinéma du monde entier. Mais des femmes comme Masako, il n’en court pas à tous les coins de rue. Sakamoto Junji filme un Japon fatigué et ses acteurs qui le sont tout autant, abandonnés à leur sort (la suicidaire Ritsuko) ou tentant de fuir un passé peu glorieux –ou pas- avec notamment le personnage de Ritsuko, ancien yakuza qui a replongé pour des motifs dont lui seul en connaît la teneur. Le cinéaste aura filmé l’éclatement et la crise avec la tranquillité du malaise, sa pire face, celle qui survient lorsqu’on ne s’y attend pas en guise de douche froide paralysante. Alors que chacun tente de reconstruire sa vie, notamment Masako en pleine fuite après avoir assassiné sa sœur, le poids du passé est sans cesse là pour prévenir les acteurs d’une nouvelle vie de regarder derrière eux aussi souvent que possible. Et surtout d’y croire. Masako est une sorte de nomade, mais ses déplacements ne sont pas effectués par simple quête de nourriture, celle-ci cherche à fuir les autorités et son geste qui lui pourrissent la vie jusqu’à lui donner des hallucinations plus réalistes qu’un simple reflet de miroir sorti tout droit de l’au-delà. Elle rencontrera sur son chemin des personnages aussi décalés que dangereux, mais tous se retrouvent autour d’un même point commun : la dérive et l’abandon. Masako essuiera les tentatives de viol comme elle change de traintrain quotidien, sans toutefois perdre espoir malgré son allure pataude. D’ailleurs, il est assez rare de noter le premier rôle donné à un tel profile tellement le Japon nous a habitué à des femmes sveltes et féminines à l'écran. Masako est féminine, évidemment, mais ses kilos en trop étonnent à l’heure où certains premiers rôles sont donnés à des starlettes pop malgré leur absence de talent de comédienne.
Fujiyama Naomi n’est pas la plus belle, mais sa prestation est exceptionnelle. On ne lui demande pas de poser nue ni de jouer de la frimousse, son personnage n’en a pas besoin, on serait presque tenté de penser qu’une telle allure est un avantage non négligeable. Son jeu en retenue lui évite également de sombrer dans la sale caricature de femme battue misérable, ses seuls appels à la détresse se résument à des hurlements manquant de souffle face à l’horreur endurée. L’asphyxie. Une approche du genre étouffante que l’on retrouve également dans la stylisation du film, très sobre, portant presque la marque des productions ATG contestataires. A la manière d’un Portrait d'un criminel de Gosha Hideo, le personnage principal n’est pas le seul élément marquant du film, sont également dépeints les travers de la société nippone : Gosha y dénonçait la mine, Sakamoto Junji y dénonce la société dans son ensemble à travers la solitude de son personnage est des malheurs de ceux qu’elle rencontre. On aurait pu voir plus de mordant dans cette peinture, mais sa violence présente et ses maux inévitables rappellent la société dépeinte dans les films ATG. D’où une certaine proximité, pas toujours évidente certes, entre ces productions contestataires des années 80 et ce film transpirant de bout en bout. Traitant son sujet avec un ton virant facilement du grave à la légèreté (Masako s’entraînant à la nage pour fuir par la mer, les séances de karaoké alcoolisées), Face est une œuvre singulière dans son approche de la chronique. Pas étonnant que le film rafla les plus gros prix décernés par les festivals et cérémonies de l’archipel tels Yokohama ou l’Académie cinématographique japonaise, ainsi que ceux décernés par les médias les plus prestigieux tels que Mainichi, Kinema Junpo ou Nikkan Sports dans la catégorie du meilleur réalisateur et du meilleur film de l’année. Entre autres.