On se fend la poire dans les couloirs !



A l’occasion de la sortie du remarquable The Raid, de ses coups de machettes et flingues dans les couloirs d’un immeuble sordide d’une banlieue grisâtre d’Indonésie, il paraît judicieux de ressortir de nos cartons les films d’action venus d’Asie qui, déjà, usèrent de ce décor étriqué pour illustrer leur ultra violence. Laissons le soin au Dr Van Der Brucken d'apporter un peu de sérieux à tout ce bazar en bout de course.

Vous pensez action ? Coup de feu dans un couloir ?

Progression difficile d’un point A vers un point B ? John Woo, tout de suite, vient à l’esprit. Qu’on se rappelle de Chow Yun Fat dans la fameux plan séquence d’A toute épreuve et dans les morceaux de bravoure des Syndicats du crime. Il peine à s'y faire une sortie avec ses flingues, le Chow. Les portes explosent, les impacts sont sanglants, les murs criblés de balle et le héros, en sueur, halète sous l’effort. Chow must go on ! Mémorable, incontournable, plein de trucs en « -able », il en est capable. Ses potes aussi : démonstration.

- Ti Lung, notre décoration d'intérieur vaut bien celle de The Raid, non ? Qu'en penses-tu ?
- Je suis bien d'accord avec toi, mon ami ! J'ajoute que le costard, ça aide. Une cravate, sur un bon bain de sang, ça donne tout de suite du cachet.
(Syndicat du crime 2)

De son côté, et ça commence à dater tout ça, Kirk Wong aimait bien mettre un maximum de personnes dans un endroit clos. De préférence un couloir. Entassés, les chinois s’y tirent dessus en vrac, se donnent des coups de machette en vrac, brûlent en vrac et meurent en vrac. Hop, à la fosse commune tout ça !



" Touché ! C'est toi l'chat crâmé ! AH AH AH AH AH !" (Gunmen)
.

En Corée, on aime bien aussi les plans séquence. Dans Old Boy, avec un marteau on le nettoie bien, le couloir. On élimine les cafards et les lâches, les loups couards du couloir qui s’introduisent dans un bâtiment pas tout à fait aux normes. On fait le ménage et, à la fin, comme chez Kirk Wong, hop : fosse commune !



Nous, la jeunesse désoeuvrée de Séoul, sommes obligés pour nous défouler de danser des pogos dans les couloirs de vieux HLM pourris prêtés par la Mairie...  (Old Boy).

Bifurcations successives

Dans The Longest Nite, c’est dans le couloir d’un aéroport que Tony Leung se farcit un big boss de la pègre et ses sbires. Je continue avec ce qui me vient à l’esprit, à vous de compléter le tableau : du SDU dans Purple Storm, une poignée de porte vengeresse dans One Night in Mongkok, d’autres swats dans Breaking News, encore un peu de SDU dans Crime Story, des courses-poursuites à gogo dans Time and Tide et autre Colour of the Truth… Qui tous, d'ailleurs, à un moment ou un autre jouent, et c'est inclus dans la forfait "couloirs", avec des escaliers histoire de changer un peu, de varier les plaisirs, de passer d'une jouissance horizontale à un panard un brin plus vertical.



Ce couloir là, je le sens pas... (Colour of the Truth).




J'avais raison ! (Naked Weapon).




Salut, c'est Maggie ! Je viens te sauver, mon amour !  (Naked Weapon, toujours).




Nous les jap', on n'aime pas trop les couloirs. C'est une perte d'espace pour notre ville, Tokyo, dans laquelle il y en a si peu. Alors quand on en voit un, de couloir, hop, on le ventile avec tout ce qui s'y trouve ! Ca défoule !
Evitez de faire vos malins avec vos couloirs, s'il vous plaît, c'est assez désobligeant (Akira).


Coucou, c'est encore Maggie ! On ne me voit pas bien, là mais je zigouille en règle du pedzouille par paquets de 20 ! La meilleure scène de couloir qui défouraille, elle est pour bibi ! J'arrive mon chou ! (encore et toujours Naked Weapon).



Moi, ninja cyborg coréen, j'aime les couloirs de l'espââce ! Ils sont tip top de la balle pour découper en rondelles des militaires équipés d'armes trop lourdes pour cet espace exigu. Apprenez à aimer mon film, de la SF putassière d'obédience ritale de la grande époque encore trop mésestimée (Natural City).




... avoue que tu aimerais bien le visiter, hein, mon couloir à moi. Tu veux de l'action, tu veux me le saccager, casser toutes mes portes, forcer le passage. Tu sais au fond de toi à quoi renvoient tous ces couloirs, quel désir tu assouvis devant ces scènes, quelle frustration tu apaises devant cette violence organique. Viens, je suis là, je t'attends, mmmoui, oh oui ! Encore, le corridor !... (Naked Weapon, 4ième prise, elle est bonne). 


N'oublions pas le cultissime Expect the Unexpected et cet hystérique armé d'un AK47 qui fusille à tout va dans le couloir tout en taillant sa route dans la plancher, comme dans The Raid !



Le classique : once again une rafale à travers une porte.




L'un peu moins classique : un type qui se balade
à poil dans un couloir avec un AK47 (Expect the Unexpected). "Les gars, z'auriez pas vu passer ma Maggie, des fois par hasard ?...".

Porte condamnée

N'insistons pas. Pour être honnête, plus j’en parle et plus je trouve que ce sujet sent le renfermé. Ce dossier est un peu vain, voire même d’une vacuité certaine. La vacuité de l’existence ; va, cuité, dans ton errance ; ne te retourne pas sur ce corps qui dort dans le corridor. Il est mort.

Analyse du Dr Van Der Brucken

ch71_4383190_dsc_0544portrait.jpg Mmh… Puf, puf. Le couloir. Etriqué. La violence. Violente. Si ce sujet ne naît pas d’un film de Hong Kong, il faut reconnaître que c’est pourtant bien là une spécificité de l’ex-colonie. Cette prison parallélépipédique symbolise cette ville, grande cité pourtant remplie de petits espaces fermés desquels on souhaite s’échapper sans cesse. Une fois sa cellule quittée, le condamné doit encore en passer par un couloir avant d’apercevoir la lumière. Puis d’y pénétrer. Lumière qui d’ailleurs rappelle celle que certains disent avoir vu dans leur coma, "au bout d'un tunnel sombre". Une promesse de paradis ou tout du moins d’une issue joyeuse et non d’un néant obscur et cauchemardesque. La rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997 ? Le couloir symbolise une transition. Comme une route mais sans sortie de route possible. Il nous est en effet impossible de couper à travers champs ou de se faire aider d’un hélicoptère : dans un couloir, on est fait comme un rat ! Piégé par des vilains ou le feu, ce que le déjà cité Gunmen mais également Crime Story et Full Alert illustrent formidablement bien. On y étouffe. Mmh… Puf, puf.

Il y a autre chose, de plus sous-jacent, psychologiquement même assez révélateur. Le couloir peut également figurer l’étroitesse d’esprit, une vision unique d’une situation, d’un problème auquel on ne trouverait comme seule solution que cette lumière au bout de ce couloir. Si la montagne est un obstacle, peut-être qu’en la contournant au lieu de l’attaquer sur un même point à coup de pioches, de dynamite, de machettes et de coups de pieds l’on trouverait un tunnel déjà creusé, un ami qui nous aiderait à escalader la pierre, une foreuse qui nous permettrait de passer en dessous, que sais-je encore. Le couloir nous conforte dans notre vision manichéenne du monde, des relations humaines. Si le champs d’action y est limité, le vertige provoqué par l’infinité des choix également. C’est rassurant. Il incite pourtant au conflit, ce couloir ! On s’emprisonne soi-même en concevant le monde de la sorte.

Je note aussi - puf, puf - que les films cités prennent pour cadre un univers contemporain. Les grandes villes se composent d’une surcharge d’éléments de relief là où les campagnes, décors habituels des films en costumes, appellent le cinémascope, les plans larges, les foules, l’ensemble ou le seul contre tous, épée à la main, sur la grande plaine. On respire ! Même si, pourtant, certains génies, par une utilisation spécifique, le plan serré, représentent un esprit étriqué parce que perdu, égaré en plein milieu d’une bataille épique au dehors. Tony Leung, dans la grande scène d’action des Cendres du temps. Le personnage a beau se trouver au grand air, dans sa tête, dans sa vision des choses, la vie n’est qu’un long couloir. Il cherche encore la lumière. Est-ce à dire que l’instigateur de cet article, parce qu’il apprécie ces films, a lui aussi un esprit simple et des œillères ? Mmh. Toujours est-il que le fait qu’il se rende compte de la vacuité de ce dossier – et des autres ? – est encourageant. Le bout du tunnel est à portée et…

Et merci à vous, Docteur, d’une fois encore étayer nos dossiers de l’écran jaune de vos précieux arguments ! Nous ne manquerons pas, les fois prochaines, de faire comme à l’accoutumée appel à votre si grande compétence en la matière. A venir : "de la défolklorisation avancée du cinéma asiatique" ; "Johnnie To a-t-il contribué à jaunir Johnny Halliday ?" ; "Pourquoi la chaise en bois made in China se casse-t-elle si facilement chez Jackie Chan ?" ; "Si The Raid avait été chinois, quelle aurait été la concession Mainland ? De fourbes japonais en guise de banlieusards belliqueux ?" ; "Et si The Raid avait été réalisé par Dante Lam, aurait-il rendu le frère séropositif, en réalité père - et non oncle - du petit d'Uwais ?" ; "Le râtelier du tôlier chinois peut-il être réparé dans l'atelier plein de rats fous à lier ?" ; "Et si fou fut-il, Sifu qu'en pensa-t-il ?..."
 
 
 
date
  • juin 2012
crédits
Films