Interview Im Kwon-taek

Ode à la vie | de la passion d'Im Kwon-taek pour le pansori


Beyond the Years clôt une trilogie (triomphalement débutée en 1993 par La chanteuse de pansori avant de se prolonger en 2000 par Le chant de la fidèle Chunhyang) consacrée au pansori. Un art voué à disparaître (seules cinq des douze "madangs / histoires" sont encore connues aujourd'hui) en raison d'un désintérêt général et d'un manque de renouveau artistique et que le réalisateur a tenté d'immortaliser sur pellicule.

Présent dès son quatrième film, Pour mon mari (1963), le pansori ne quittera plus jamais ni l'œuvre, ni l'esprit d'Im Kwon-taek. Intrigué par cet art particulier, apparu au cours de rites chamans au XVIIIe siècle avant de devenir une forme musicale à part entière, le réalisateur entreprend de longues recherches. Il tente, dès la fin des années 1970, d'adapter un classique de la littérature coréenne de Lee Chung-joon, mais doit renoncer faute de financements et d'artistes capables de chanter et de jouer. Il ressuscite le projet au début des années 1990 après avoir triomphé avec son triptyque du Fils du général et en faisant la connaissance de la cantatrice Oh Jung-hye. La chanteuse de pansori devient contre toute attente un immense succès populaire. Im kwon-taek réussit à intéresser ses congénères à un véritable héritage culturel unique; mais le réalisateur avoue ne pas être satisfait de son approche – selon lui – trop simpliste. A la fin des années 1990, il met en chantier Le chant de la fidèle Chunhyang, une histoire d'amour, dont la structure narrative adopte celle d'un chant pansori et le rythme du montage celui de la musique. Le myeongchang (chanteur) étant capable d'exprimer par sa seule interprétation un sentiment particulier, Im tente de faire pareil par la seule expressivité de sa mise en scène. Il mettra notamment quatre mois pour réaliser la scène durant laquelle Mong-ryong ordonne à Bang-ja de révéler ses véritables sentiments pour Chunhyang. Im veut l'outil cinématographique comme une l'expression visuelle de l'art pansori.

Déçu de n'avoir réussi à compiler la dernière des trois nouvelles de l'auteur Lee Chung-joon dans La chanteuse de pansori, Im décide d'en tirer une adaptation plus complète au début du nouveau millénaire. Malgré l'incroyable succès public de 1993, les investisseurs se montrent prudents et les studios Taehung Pictures, fidèles partenaires depuis 17 ans, se retirent même du projet quelques jours seulement avant le début des prises de vue en 2004. Un autre problème est de trouver des acteurs acceptant de jouer dans cette histoire désuète et qui pourrait trancher avec leur image "dans le vent". L'obstination du réalisateur vétéran sera finalement récompensée à la sortie du film début 2007.

Le titre même l'indique : Beyond the Years tente de concilier le passé avec le présent et le magnifique plan (forcément truqué) des grues réinvestissant les lieux de naissance des personnages principaux en fin de métrage, résume à lui seul cette particulière démarche d'un réalisateur intemporel. Qui se défend d'avoir tourné son "100e" long: son dernier projet n'est qu'un parmi beaucoup d'autres à venir…

Bastian Meiresonne


Interview | Im Kwon-taek



La médaille de la légion d'honneur remise le 30 novembre dernier récompensait Im Kwon-taek pour avoir œuvré à la reconnaissance de l'art (cinématographique) coréen en France; une mission qui lui tient tout particulièrement à cœur, comme il en ressort de cette interview recueillie au dernier Festival de Pusan et qui se focalise entièrement sur sa "trilogie du pansori".

Comment avez-vous développé votre passion pour le pansori?

Comment avez-vous développé votre passion pour le pansori ?

J'ai découvert le pansori il y a une cinquantaine d'années. A l'époque, cette musique traditionnelle faisait partie intégrale du patrimoine culturel coréen. Quand j'ai commencé à m'y intéresser, je n'y connaissais pas grand-chose. J'appréciais cette musique en tant que simple amateur; j'étais ému à chaque fois que j'en entendais une chanson et j'ai voulu effectuer des recherches pour en apprendre d'avantage.
Au fil des années, le progrès et les influences étrangères ont lentement, mais sûrement amenuisé l'intérêt des gens pour cet art. Il m'est extrêmement important de préserver au moins son souvenir et j'ai donc voulu graver à tout jamais son souvenir sur pellicule.

Que ressentiez-vous en écoutant cette musique ?

Que ressentiez-vous en écoutant cette musique ?

Il est très difficile de saisir la quintessence du pansori, de comprendre ce que la musique tend à exprimer et quelles significations endossent ses différents airs.
En fait, tout l'art réside dans le chant de l'interprète, qui doit réussir à couvrir par des notes très aigues les sons graves du tambour d'accompagnement; c'est extrêmement difficile à maîtriser. Les chants expriment le bonheur, l'amour et l'affection – tous les sentiments du quotidien. Quand le chanteur réussit à parfaitement transmettre cette palette émotionnelle au public, on l'appelle un myeongchang, l'équivalent du mæstro occidental.

Vous incluez des chants pansori dès votre quatrième film…

Je n'ai pas intégré des chants pansori à tous mes films; en revanche, j'ai toujours tenté de traduire les sentiments de mes personnages telle une cantatrice de pansori.
J'ai finalement consacré des films entiers à cet art avec La chanteuse de pansori, puis Le chant de la fidèle Chunhyang et Beyond the Years.

Pourquoi avoir voulu traduire cette musique en images ?

L'art du pansori a été inscrit à au patrimoine mondial de l'UNESCO (NdlA.: Patrimoine Oral et Immatériel de l'Humanité) – c'est vous dire son importance. De nos jours, il n'existe plus beaucoup de maîtres capables de pouvoir juger de la parfaite transmission des sentiments à travers l'art du pansori. En tentant de le traduire en images, j'ai pensé que le public allait pouvoir mieux appréhender et redécouvrir cette forme musicale ancestrale. 
J'ai de la chance d'être invité à des nombreux Festivals internationaux pour pouvoir exporter l'art coréen; je peux ainsi emmener notre patrimoine au-delà de nos frontières et partager sa beauté avec un public international. La grammaire cinématographique est un langage universel, qui m'a permis de traduire le pansori en des images compréhensibles par tous.
Mes trois films s'inspirent de classiques coréens, dont le plus célèbre – composé de trois nouvelles indépendantes – a donné naissance à La chanteuse de pansori. Je n'ai pas été capable d'intégrer la troisième histoire à mon film, mais je me suis juré de le faire plus tard.

Est-ce que vous avez intentionnellement voulu clore votre trilogie par votre "100e film" ?

Non ! Le chiffre "100" n'a d'ailleurs de l'importance qu'aux yeux des critiques – et surtout les critiques européens. Pour moi, il s'agit juste d'une autre entrée dans ma filmographie qui est loin d'être terminée. Mes cinquante premiers films n'ont d'ailleurs que très peu d'importance, car rares sont ceux dans lesquels je me sois personnellement investi.
Par Beyond the Years, j'ai voulu montrer, comment le pansori réconcilie les personnages avec la vie et comment les chansons font ressortir le plus profond intérieur des êtres humains. J'ai voulu prouver, que l'art du pansori soit toujours d'actualité.

Comment expliquez-vous le phénoménal succès de La chanteuse de pansori et la véritable contre-performance de Beyond the Years ?

À la fin de la colonisation japonaise de la Corée, les gens s'évertuaient à faire re-décoller l'économie coréenne. Notre nation a pu s'ouvrir au monde et des pays étrangers en ont profité – parfois en bien, parfois en mal – pour importer leur propre culture. Nous avons été extrêmement occupés à cette période. Une fois, que l'économie allait mieux, les gens se sont à nouveau souvenus de leur propre culture. Le timing était parfait pour mon sujet. Les gens s'intéressaient de nouveau à leurs racines et La chanteuse de pansori répondait à leur attente pour se réapproprier leur propre histoire. Au-delà de l'art du pansori, j'ai surtout voulu rappeler à mes concitoyens, que nous disposions d'un riche et unique héritage culturel.
En revanche, je suis extrêmement déçu par l'accueil réservé à Beyond the Years. Les rares critiques, qui ont pensé ce film comme mon meilleur, sont de la vraie baume sur la profonde blessure de mon cœur. D'une part, je pense, que nous n'ayons pas suffisamment communiqué à la sortie du film; d'autre part, il s'agit d'un film exigeant et qui demande de bien connaître l'histoire originale. Le jeune public n'a pu comprendre Beyond the years, parce qu'il n'avait pas vu les deux premiers films – ou parce qu'ils ne connaissent pas leurs classiques.
Les films américains causent beaucoup de tort à la jeune génération. Elle est habituée aux purs divertissements qui n'exigent aucune réflexion. Elle ne pense qu'à se divertir sans se prendre la tête – alors que mes films demandent un minimum de réflexion pour bien comprendre l'histoire et la motivation des personnages.

Pour la première fois vous utilisez des effets spéciaux – comment avez-vous vécu cette expérience ?

J'ai vraiment eu beaucoup de mal à donner vie à mes fantaisies par le biais des effets spéciaux, mais il fallait absolument que j'intègre cette petite séquence à l'intérieur de mon film. Je suis extrêmement content du résultat.

Propos recueillis au Festival de Pusan 2007 par Bastian Meiresonne.
Chaleureux remerciements à l'équipe presse et à Lee "Jennifer" Ji-young.
date
  • août 2008
crédits
  • interviewer
  • Bastian Meiresonne
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