Chouchou des festivals où il a concouru depuis sa sortie à l’été 2006 au Japon, La Traversée du Temps a collectionné les prix à juste titre. Le dernier en date, le prix du jury à Annecy lors de l'édition 2007, est ainsi venu confirmer une reconnaissance critique mondialement unanime. Réalisateur emblématique d’une nouvelle génération d’animateurs/réalisateurs qui se fait sa place aux côtés des vénérables anciens, Mamoru HOSODA était donc de passage à la 31ème édition du Festival International du Film d’Animation d’Annecy pour y présenter son film. Nous sommes allés à sa rencontre histoire de le « cuisiner » un peu : son film, surtout, Madhouse décidément devenu LE studio d'animation japonais de l'époque, son expérience ratée avec Ghibli... A noter que les interventions du producteur Takashi WATANABE, qui assistait à l'entretien, sont indiquées en italique.
Pourquoi avoir choisi d’adapter, parmi tous les ouvrages de Mr TSUITSUI, celui de La Traversée du Temps en particulier ?
Et bien ce roman a été écrit dans les années 60 et quand je l’ai découvert j’étais âgé d’une dizaine d’années, et j’ai véritablement été transcendé par la lecture de ce livre. Depuis j’ai toujours eu envie d’en faire quelque chose. J’ai donc tout simplement adapté ce roman parce que je l’aime énormément.
Votre film n’est pas une adaptation littérale du roman d’origine, mais plutôt une variation ou une suite à ce dernier : comment avez-vous abordé la question de l’adaptation ?
Effectivement, il y a des différences entre les deux histoires, ne serait-ce que le fait que le personnage principal est la nièce de l’héroïne du roman original. Il me fallait faire des choix sur ce qui pouvait encore bien passer auprès du public. Je ne voulais donc pas faire quelque chose de fidèle à 100%, mais sans non plus dénaturer l’histoire de Mr TSUITSUI malgré les adaptations liées à la nouvelle époque à laquelle prends place l’intrigue du film.
Comme dans vos films Digimon (ndr : HOSODA a réalisé 2 moyens métrages de la franchise en 2000, Digimon Adventure et Digimon : Bokura no War Game, qui lui ont valu une réputation instantanée au Japon, ces 2 moyens métrages - plus un troisième - ont ensuite servi de base au remontage qui a donné le film Digimon The Movie à l'international), vous avez adopté une approche plutôt réaliste dans La Traversée du Temps, mettant l’emphase sur les éléments quotidiens de l’histoire plutôt que la partie totalement fantastique, un peu à contre-courant de ce qui se fait d’habitude. Pourquoi ce choix ?
Et il se trouve que dans le roman, l’auteur met l’accent sur les sauts dans le temps, les allers-retours constants entre présent, passé et futur, tous ces passages fantastiques... Mais pour ma part, j’estime que le quotidien recèle déjà de choses aussi fantastiques que des sauts dans le temps. C’est d’ailleurs grâce à ces voyages temporels que Makoto va prendre conscience de tous ces miracles du quotidien, de ce que la vie de tous les jours propose comme expériences merveilleuses, d’occasions d’apprendre et de découvrir toujours plus. Je voulais aussi montrer, tout comme dans mon film Digimon effectivement, que le quotidien n’est pas nécessairement quelque chose d’ennuyeux ou de fatiguant pour les jeunes, mais une étape de la vie qui peut également proposer de fantastiques moments.
Le film est surtout narré du point de vue de Makoto, de votre héroïne, et il y a une scène à cet égard qui rend bien compte du caractère encore en formation de cette jeune fille, lorsqu’elle éclate en sanglot et que remonte le côté toujours infantile du personnage...
J’adore le personnage de Makoto. Comme vous l’avez probablement remarqué, elle est dotée d’une personnalité entière, très franche dans ses réactions. Mais bien qu’entrant dans l’âge adulte, elle possède encore des comportements enfantins. Il est vrai que lorsque j’ai dessiné cette scène (ndr : HOSODA fait ici probablement référence à l'étape du storyboard) où elle explose en pleurs, c’est certainement son côté le plus infantile qui ressort. Elle a beau être une lycéenne, il y a encore cette part d’enfance en elle que chacun d’entre nous possède et qui prends le dessus à un moment dans l’histoire.
Il y a de nombreuses scènes de vie scolaire très réussie et convaincantes dans La Traversée du Temps, êtes-vous allé puiser dans vos souvenirs pour les créer ?
(Rires) Non, il n’y a absolument rien de moi dans ces scènes là. A mon époque ce n’était pas aussi rose !
Mais vous avez eu une Makoto dans votre jeunesse non ? Dans les personnages masculins, il n’y en a même pas un qui ait un peu de vous ?
Si j’avais voulu mettre mes souvenirs dans l’histoire, ça aurait posé un problème à terme (rires). En réalité je ne voulais pas faire un film nostalgique, je désirais montrer des jeunes d’aujourd’hui et ne pas faire un film pour que des gens de mon âge se remémorent leurs bons souvenirs de jeunesse...
Suis-je à côté de la plaque si je vous dis que votre film est traversé, sous-tendu, par une légère tension érotique ?
Ça me surprend ! Ceci dit, c’est vrai que le fait de dépeindre de jeunes adolescents en pleine forme dégage probablement des « vapeurs » d’érotisme, mais j’avoue que je n’y ai pas pensé avant. Et en même temps, il y aussi une relation entre une fille et deux garçons, même si c’est une relation d’amitié, et il y a peut-être cette part d’ambiguïté et d’émois propre à cette situation. Sûrement que sans le savoir, Makoto exhale une certaine part d’érotisme latent, mais dans ce cas là ça reste encore inconscient chez elle.
Il y a une scène comique récurrente qui fonctionne à tous les coups tout le long du film, c’est celle du « roulé, boulé » de Makoto à chaque fois qu’elle « atterrit » sur le sol en sortant d’un déplacement temporel. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce gag ?
Makoto a un pouvoir fabuleux qui est celui de voyager dans le temps. Si j’avais fait d’elle quelqu'un qui réfléchit sérieusement à ses capacités exceptionnelles, qui aborde les choses de façon beaucoup plus analytique, je crois que le public se serait éloigné du personnage et je ne le voulais pas. En plus, Makoto n’est pas à proprement parlé « une tête », elle utilise donc ses capacités en fonction de sa personnalité plutôt légère. Je ne voulais surtout pas qu’elle rentre dans cette catégorie de personnages stéréotypés qu’on voit si souvent, ces personnages aux entrées en scène héroïques magnifiées et codifiées. Généralement ce sont de belles entrées. Mais là je souhaitais que les entrées en scène de Makoto correspondent à ce qu’elle était et que, comme toutes les jeunes filles de son âge, elle prenne ça comme un jeu. D’ailleurs elle en fait un jeu ! Voilà pourquoi que j’ai essayé de trouver quelque chose de particulier et puis, comme on ne voit quand même pas beaucoup de jeunes filles tomber comme ça dans la rue à longueur de journée, je trouvais cette idée très attendrissante et vraiment adaptée au personnage.
Vous avez l’habitude de faire vos repérages photos vous-même quand vous préparez un film. Etait-ce le cas cette fois encore et comment s’est déroulée votre collaboration avec votre directeur artistique, Nizô YAMAMOTO (Princesse Mononoke, Le Tombeau des Lucioles...) ?
Pour La Traversée du Temps j’ai encore fait les repérages et pris des photos, accompagné par Nizô YAMAMOTO. Nous sommes allés dans différents endroits de Tokyo qui nous paraissaient correspondre à ce que nous recherchions. Ensuite, en regardant les photos et en discutant tous les deux, nous avons décidé de créer le quartier où se déroule l’intrigue comme un melting-pot de tous ces éléments que nous avions rassemblés, mais avec également quelques changements.
Le film recèle de nombeuses scènes particulièrement bien animées, il y a notamment les scènes de « catch-ball » (ndr : dérivé local très populaire du base-ball) entre les 3 personnages principaux et qui illustrent bien également le parti pris plutôt réaliste de l'approche. Comment avez-vous abordé ces scènes en particulier, quels étaient les enjeux de mise en scène ?
Ce que je voulais montrer dans ces scènes de « catch-ball », et à travers elles également, c'était que chacun des personnages avait une façon différente de lancer la balle : il y a d'abord Kosuke qui fait preuve d'une aisance signe d'une longue pratique, il y a ensuite Chiaki moins à l'aise mais qui s'en sort, et enfin Makoto qui n'en a jamais fait de sa vie. Et si l'animation varie de l'un à l'autre, c'est parce que leur façon de bouger elle-même varie. L'enjeu pour moi était de faire ressentir le niveau de chaque personnage sans qu'on ait besoin de l'expliquer.
Ces séquences restent particulièrement cohérentes entre-elles du point de vue de l'animation. Est-ce le même animateur qui s'est occupé de l'ensemble des scènes de « catch-ball » ?
En effet ces séquences là ont été réalisées par un seul animateur qui s'appelle Hideki TAKAHASHI. Nous avons eu de la chance de l'avoir car il était le seul, parmi tous les animateurs du staff à ma disposition, a avoir pratiqué le base-ball dans sa jeunesse pendant plusieurs années. Je suis vraiment content parce que d'autres animateurs, sans l'expérience réelle de ce sport, n'auraient sans doute pas pu traduire de façon aussi satisfaisante l'idée de niveau que je voulais faire passer. De plus, concernant le personnage de Makoto, non seulement cette dernière n'a jamais pratiqué ce sport, ce dont il fallait rendre compte à travers sa façon de bouger, mais il y avait aussi le fait qu'elle était une fille, et il fallait donc aussi retransmettre la façon de lancer d'une femme, avec un mouvement du bras complètement différent. Et son travail à ce niveau là reste assez exceptionnel.
Concernant les sauts dans le temps en eux-mêmes, qui sont récurrents, le premier est traité en 3D avec le personnage en 2D et une foule d'image, tandis que les suivants le sont tous en 2D avec des motifs graphiques plus simples. Pourquoi cette différence ?
Le premier saut dans le temps, avec son défilement d'informations qui assaillent Makoto, illustre le fait qu'il s'agit de sa première expérience de déplacement temporel, elle ne sait pas où elle va, elle est perdue. Ensuite, en acquiérant un peu plus de contrôle sur le processus, la façon de représenter ses voyages change, ça devient quelque chose de plus abstrait et en même temps plus proche de la réalité de ce qu'elle vit...
Et est-ce d'ailleurs la même personne qui s'est occupée de toutes les séquences de saut dans le temps ou y a t-il différents animateurs sur le coup ?
J'avais demandé au directeur des SFX de faire des recherches et de trouver des concept visuels pour ces sauts temporels. Pour le premier saut dans le temps, nous avons effectivement utilisé des aquarelles et des dessins passées au filtre de l'ordinateur, tandis que pour les suivants nous avons changé. J'avais déjà esquissé ce genre d'idées dans des travaux précédents... (ndr : Attention, lièvre à soulever. Ici Mamoru HOSODA se montre évasif sur l'identité du ou des animateurs impliqués, la personne a qui est attribuée une des séquences en question – dans le commentaire audio du DVD japonais, avec rires entendus entre les commentateurs – étant créditée d'un pseudo. Les spécialistes et amateurs de «sakuga» - animation – et experts dans les signatures stylistiques, ont de quoi enquêter...).
Combien de temps a pris la production de l'animation ?
WATANABE Takashi : (rires) Nous avons réalisé le film dans un temps record. A partir du moment ou le storyboard a été fini il s'est en tout écoulé 6 mois. Nous aurions aimé avoir plus de temps mais comme nous voulions le sortir pour l'été, l'histoire se déroulant en été, nous avons fait en sorte de le terminer dans ce court délais. Nous avons travaillés comme des fous. Mais bon, comme les temps de production étaient plus serrés, tous le monde est resté très concentré sur son travail, tous le monde était plus productif, ce qui a permis de maintenir un tel niveau.
Une question «ritournelle » : Paprika, Amer Béton ou Mind Game, sont des films qui ont été produit pour des sommes allant de 2 à 5 millions de dollars, les derniers films de MIYAZAKI Hayao, OSHII ou OTOMO, l'ont été pour des sommes situées entre 15 et 20 millions, et le votre ?
WATANABE Takashi : Le budget de notre film est plus proche de la somme de 5 millions de dollars. Nous avions un petit budget.
Passons au studio Madhouse qui a produit l'essentiel de l'animation. Mr. HOSODA, ces derniers temps le studio a produit une nouvelle génération d'animateurs/réalisateurs (KON Satoshi, KÔSAKA Kitaro, YUASA Masaaki...), qu'est-ce qui rend ce studio si attirant aujourdhui dans le paysage de l'animation japonaise ?
L'avantage de Madhouse c'est qu'on y trouve énormément de réalisateurs et chacun a sa vision personnelle du métier, son style et sa façon de faire. Le studio dispose ainsi d'un panel qui est très large, et on ne peut donc pas réduire ce que produit Madhouse a un style unique. Et puis Mr. MARUYAMA Masao (ndr : fondateur du studio, figure incontournable de l'industrie de l'animation, LE producteur du moment) a l'avantage de fonctionner sur la base d'une discussion avec le réalisateur et il ne leurs demande pas de faire comme il veut. Il considère ce que le réalisateur veut et ce qui peut être fait ensuite. Madhouse est un studio qui permet surtout à pas mal de gens de mettre sur pied des projets qu'ils ne pourraient autrement pas faire ailleurs...
...Et c'est pour cette raison que votre collaboration avec Ghibli a échoué (ndr : sur la base de son travail avec les 2 moyens-métrages Digimon, HOSODA Mamoru aurait dû réaliser Le Château Ambulant en son temps, pour finalement se faire remplacer par MIYAZAKI Hayao) ?
(Rires, échanges avec son producteur et re-rires, tergiversations...) Vous savez, je ne peux pas répondre à cette question car on m'a demandé de ne pas le faire... Mais ce que je peux néanmoins vous dire, c'est qu'il faut savoir qu'entre Madhouse et Ghibli, ou avec d'autres studios comme Toei par exemple, c'est souvent une personne qui est le fer de lance (producteur, patron...), c'est autour d'elle que les choses s'articulent. Et cette personne ayant une manière particulière de voir les choses, il arrive donc souvent qu'on ne puisse pas s'entendre avec elle car ça ne correspond pas à sa façon travailler. Ce qu'on peut faire avec Madhouse par exemple, n'est pas nécessairement possible chez Ghibli, car ça ne colle pas à leur méthode de travail. On a souvent dit que si je n'avais pas réussi à faire Le Château Ambulant, c'est parce que j'avais été effrayé par l'argent, par la pression et ce genre de choses... Je ne crois pas. Je pense honnêtement, au fond de moi, que ce n'est pas que pour ça. Il y a aussi une façon de travailler qui est spécifique à chacun dans le milieu, qui tient à la manière de concevoir l'animation et la mise en scène . Et c'est vrai que souvent, au Japon, un studio égale un homme...
Entre vous, YUASA Masaaki, KON Satoshi etc... ou encore tout dernièrement ISO Mitsuo et sa série Dennô Coil (ndr : une des révélations de l'année au Japon, la "fusion" de Miyazaki et Shirow pour faire court. On en reparlera à l'avenir...), ne peut-on parler d'une nouvelle génération de réalisateurs/animateurs succédant aux vétérans comme MIYAZAKI Hayao par exemple ? Peut-on parler d'une nouvelle vague ?
Je crois que s'il y a eu, effectivement, une nouvelle vague de réalisateurs, c'est grâce à plusieurs facteurs. Il y a en particulier le fait que jusqu'à présent, il n'y avait qu'une seule façon de concevoir l'animation, qui était celle des vétérans, notamment imposé, enfin plus ou moins consciement, par MIYAZAKI Hayao. Et d'ailleurs, si ce dernier venait à disparaître on risquerait de perdre cette manière de concevoir l'animation, ce qui en soit n'est pas souhaitable. Quoi qu'il en soit, pendant un temps, ce qui a manqué à tous ces nouveaux réalisateurs qui avaient chacun leur façon propre d'aborder l'animation, c''était l'occasion de pouvoir le montrer. Si nous avons la chance d'avoir une nouvelle vague de réalisateurs, c'est donc aussi grâce au travail de studio comme 4°C ou Madhouse justement, avec des producteurs qui disent « qu'est-ce que tu veux faire - et - on va essayer de le faire ». C'est avec l'aide de gens comme ça, des producteurs comme Masao MARUYAMA ou Eiko TANAKA (ndr : fondatrice du studio 4°C qui a produit dernièrement le film Amer Béton), qui permettent à des réalisateurs de s'exprimer, que l'on a pu avoir ce nouvel éventail de visions de l'animation. Ça a permis à l'animation de se développer et d'offrir autre chose que ce qu'on avait jusque dans les années 90, et qui était le fait de standards issus de studios avec des hommes qui avaient réussi.
Une dernière question quasi rituelle dans ce genre d’entretien : quels sont vos projets maintenant ?
Je suis actuellement en train de travailler sur un nouveau projet de film d’animation, toujours avec Madhouse, qui devrait voir le jour début 2009 si tout va bien.
© 2006 TOKIKAKE Film Partners
Interview réalisée par Anton GUZMAN à Annecy en juin 2007.
Traduction Pierre GINER.
Remerciements à Aurélie LEBRUN (Kaze).