A propos du film Horus Prince du Soleil
Introduction
C’est dans une petite salle bondée que s’est tenue la conférence de TAKAHATA Isao portant sur le film Horus Prince du Soleil. Avant que le réalisateur japonais ne prenne la parole Ilan NGUYEN, co-programmateur du Festival Nouvelles Images du Japon et interprète attitré, a introduit le sujet en donnant quelques indications afin de situer l’importance de Horus dans l’histoire de l’animation japonaise. Ainsi, la production du film, quatorzième long métrage d'animation sorti des studios Toeï en 1968, s’est étalée sur trois années, pour aboutir à une œuvre qualifiée « d’œuvre de la renaissance ».
Cette production réunissant de grands noms de l’animation fût un projet initié contre l’avis de la direction du studio, un film voulu par le syndicat des animateurs dont TAKAHATA, MIYAZAKI, KOTABE, ÔTSUKA et d’autres, étaient membres (ndr : certains y ayant occupé des postes à responsabilités). Ce qui distingue Horus des autres productions Toeï de l’époque, c’est le public visé, plus âgé que le public traditionnel, et la place prépondérante de la vision du réalisateur dans la mise en scène, chose posée dès le départ à l’étape du storyboard auquel TAKAHATA Isao prit une part active (ce qui était nouveau pour un réalisateur).
La politique
Avant d’aborder le film en tant que tel, le réalisateur est longuement revenu sur les conditions historiques qui prévalaient lors de la production, reliant ainsi intimement l’œuvre à la façon dont lui et son équipe vécurent leur époque : « (...) en 1968 il existait un sentiment de crise et de danger, c’était l’époque de la guerre du Viêt-Nam et nous avions peur qu’en tant qu’allié le Japon soit entraîné dans cette guerre. (...) Sans m’étendre sur la situation actuelle avec la guerre injustifiable en Irak, menée unilatéralement par les Etats-Unis, il faut quand même constater que la période ressemble à celle de 68. Aujourd’hui, malgré le fait que 80% de la population au Japon soit contre l’engagement de troupes en Irak le pouvoir en place –le PLD (libéral démocrate) qui n’est pourtant pas impopulaire- a décidé de l’envoi d’hommes. (...) Le personnage d’Hilda a été créé avec en tête la situation des soldats américains au Viêt-Nam, elle reflète et est confrontée aux mêmes contradictions intérieures que ces derniers (survie, doute, fierté...) ». (...) Pour nous tout ça était extrêmement douloureux... Ce sont des considérants politiques mais je tenais à en parler car ils étaient présents dans la création de Horus. »
Société et écologie
Après avoir évoqué la dimension directement politique de son œuvre, TAKAHATA s’attache à aborder sa dimension écologique et sociale : « (...) La fin des années 60, l’époque de la Haute Croissance Economique, fût marquée par une modification du rapport des japonais à la nature du fait de l’industrialisation. (...) Le Japon a un rapport historique avec son écologie qu’on pourrait qualifier de Développement Durable. La fin de cette relation commence à la fin des 60’s. Un autre problème lié à l’industrialisation concerne la disparition des communautés humaines dans les campagnes.(...) A travers l’existence des villageois et des scènes de foule dans Horus la question de la communauté y est également illustrée. ( ...) Quant au rapport de l’homme à son environnement ce n’est pas vraiment traité en tant que tel dans le film mais plutôt à travers des éléments symboliques. C’était encore une question qui était pour moi, à l’époque, émergeante... »
Une production difficile
« Pour les gens de ma génération Horus représente un point de départ. La majorité de ceux ayant travaillé sur ce film étaient plutôt jeunes. Mais c’est aussi un film qui a exercé une forte influence sur les générations suivantes même si ça ne s’est pas exprimé en terme de mode ou de tendance. (...) Nous avions notre propre façon de voir les choses par rapport aux objectifs de la Toeï qui voulait un film pour enfant fait selon une recette. Notre ambition sur le plan formel nous a amené au-delà de notre savoir faire de l’époque, ce qui a eu des répercussions sur la production : le planning n’a pas été respecté et nous avons pris du retard. En conséquence il nous a non seulement fallu renoncer à certaines scènes auxquelles nous tenions, mais cela nous a aussi obligé à couper dans le matériau final. On a probablement trop voulu en mettre d’un coup, mais même si on n’a pas rendu justice à tout ce que l’on voulait traiter, il fallait le faire. Revoir ce film aujourd’hui me donne des sueurs froides, me rappelle tout ce à quoi on a du faire face. Ce qui était en jeu se traduisait par un combat permanent avec le studio pour imposer notre vision tout en prenant le temps de résoudre nos problèmes formels. Nous avons manqué de marge, d’aisance sur ce film. (...) Il n’y quasiment pas de rires (ndr- dans Horus), ce qui traduit notre état d’esprit du moment. »
Les enjeux narratifs
« La plupart des scènes avec des chants –en général de foule- valident notre travail. La qualité du mouvement est là dans ces passages animés par Mrs KOTABE et MIYAZAKI. (...) Ce qu’il y également d’important pour moi dans Horus réside dans une posture qui consiste à maintenir le spectateur dans sa position (ndr- à distance) et non à le saisir et à l’euphoriser comme dans le travail de Mr MIYAZAKI. (...) Notre ambition était de raconter une histoire réaliste, crédible, et dans ce cadre créer une certaine distance. (...) Ce qui reste de plus marquant réside dans le personnage principal de Hilda. (...) On a réussi à créer des personnages porteurs d’une dose de complexité et dotés d’une profondeur dans les contrastes psychologiques. (...) Par rapport à la force d’immersion des récits classiques où on se perd dans des constructions emplies de tours de force plus ébouriffants les uns que les autres (on oublie les enjeux pour les sensations, au moyen du montage), il s’agissait pour moi d’établir une forme de continuité, de dégager la cohérence de la mise en scène. Il s’agissait de faire un film en dessin animé. »
L’image
« Horus a été pour moi le moyen d’expérimenter des techniques de mouvements de caméra. D’une certaine façon tout ce que j’ai fait ensuite, sur ce terrain, était déjà dans Horus. Aujourd’hui avec l’infographie tout cela est plus accessible mais dans ce domaine –le dessin, le trait présenté dans une optique cinéma/cadre/caméra- je suis persuadé qu’il reste beaucoup à faire et à obtenir avec les méthodes traditionnelles. » C’est dans la séance des questions que TAKAHATA a poursuivi sur ce thème, éclaircissant par là la question de l’éventuelle influence de MIYAZAKI sur Horus : (...) « tout ce qui relève des mouvements de caméra est de mon fait, c’est l’intérêt qui est le mien pour le travail de l’espace dans l’animation. (...) Ma relation avec Mr MIYAZAKI et mes autres compagnons est basée sur une compréhension commune, pas sur une division des tâches. L’interpénétration des styles et des points de vue est donc beaucoup plus complexe. »
Propos recueillis par Anton GUZMAN.
Remerciements à toute l'équipe du Forum des Images.
Conférence donnée à l'occasion de la troisième édition du Festival Nouvelles Images du Japon au Forum des Images (Paris).
© 1968, Toei Company