Pour
qui aime les films asiatiques vierges de toute rumeur, l'effervescence des
coréens, les rencontres en franglais et les nuits de quatre heures à répétition,
le festival de Pusan, en Corée du Sud, est un paradis.
PUSAN est la deuxième ville de Corée du sud, ce qui lui fait tout de même
trois millions d'habitants (il faut dire que Seoul en fait 12), et elle
a une culture bien à part, racontée par exemple dans le film Friend.
On peut dire que c'est le Marseille de la Corée. D'ailleurs il y a pleins
de taxis. Fausse blague, il y a des taxis partout en Corée, plus sérieusement,
Pusan est un immense port cosmopolite (le quartier "Russe" est
celui des prostituées) au pied de petites montagnes, on y parle avec un
accent parait-il très prononcé, et il y fait plus chaud, le tee-shirt en
octobre, c'est faisable. Plus précisément, la ville fait l'effet de toute
la Côte d'Azur ramassée en une seule ville tentaculaire, trouée de partout,
charmante malgré son gigantisme.
Le
plus grand festival de Corée -et maintenant d'Asie puisque les concurrents
sont moribonds- est né ici entre autres parce que ça a son petit côté Festival
de Cannes. Les institutions et le cinéma coréen ont tout de suite mis le
paquet sur ce bébé, d'ailleurs la première édition reste encore invaincue
en terme d'entrées. La renommée du festival est allé de concert avec la
success story du cinéma coréen et l'ouverture de la Corée au monde. Il avait
lieu au départ dans le quartier festif et jeune de Nampodong, puis il s'est
senti à l'étroit et est allé de l'autre côté de la ville vers la plage de
Haeundae, quartier riche en perpétuelle évolution. Tout le festival sera
ici à l'avenir, au risque qu'il se coupe du public populaire pour être un
gros rendez-vous huppé.
Pour l'instant, c'est peut être l'idéal. Il y a des grands palaces et c’est
presque l’été comme à Cannes, même début octobre, mais on loge a deux pas
du festival dans des hôtels pas chers et classes. Sur la grande plage, entre
des sculptures modernes installées à l'occasion d'une biennale d'art contemporain,
le soir, le grand jeu est de faire pêter des feux d'artifices et le matin,
on croise des classes d'enfants. Dans les fêtes VIP en France, on se cogne
aux malabars en uniforme, à Pusan, on entre avec les sourires des bénévoles.
On y croise nationalités et générations, on y boit la bière au pichet, et
sur la piste de danse se déchaine le directeur du festival, l’incontournable
Kim Dong-ho, pas cul-pincé pour deux wons, assorti d'une réputation de sacré
buveur. Il surveille régulièrement le bon déroulement des séances, il est
partout, à croire qu’il s’était cloné. Autre bonheur, l’enthousiasme des
jeunes cinéphiles coréens. Il n’y a pas que Tony Leung ou les starlettes
locales qui les attirent, n’importe lequel réalisateur est accueilli par
une franche allégresse. Theo Angelopoulos a rempli les salles, c'est dire...
Le
journaliste parisien, même d’une si petite chose comme Cinémasie, sent vite
un vent de sympathie autour de lui (« Ah, Paris... »). Comme en plus on
retrouve en plus moults connaissances s’intéressant forcément à la même
chose que nous (le cinéma asiatique et la Corée), un peu comme « le rendez-vous
des gens biens », nous voilà avec un bottin de joyeux souvenirs.
Si on ne fera aucun reproche à ce festival ici, ce n’est pas parce qu’on
ne veut se faire bien voir, non, c’est juste que si défauts il y a, il faut
les comparer honnêtement avec l’âge de la manifestation et non pas avec
d’autres festivals importants dans le monde : Pusan est un gamin de neuf
ans, en pleine crise de croissance, qui essaye de tutoyer les grands adultes
(Rotterdam notamment) mais a des os encore fragiles. Cette année, le festival
a été débordé par l’afflux d’invités étrangers et tout le monde a pesté
contre une billetterie énervante, souvent absurde. Mais avec une franchise
toute coréenne, le staff reconnaît tout ça. Pusan fait comme il peut, l’effort
fait plaisir a voir.
Bon d’accord, le soju, les sushis, serrer les paluches c’est cool, mais
vous avez bossé ? On est pas peu fiers, le duo de Cinémasie, d’avoir vu
TOUS les films coréens du festival, beaucoup de japonais aussi et d’avoir
eu du flair pour les plus prometteurs. Et puis on a cogité, d’où ce compte
rendu sérieux, pour rendre hommage à un festival haut de gamme. Impossible
de traiter les plus de 200 films présentés, dont certains déjà bien connus
ici, d’autres pas du tout asiatiques (mais bravo de les faire découvrir
au public coréen), et enfin tous ceux qu’on a pas vu !
DES INVITES PRESTIGIEUX Wong Kar-wai, Tony Leung, Hou Hsiao-Hsien, Apichatpong Wheerasethakul...
2046
faisait l’ouverture du festival et Hou Hsiao-hsien était l’invité d’honneur,
pour une Master Class et la présentation de son dernier film, Café
Lumière. Quand à Joe, tel qu’il préfère se faire appeler plutôt
que d’entendre tout le monde se vautrer en essayant de prononcer son nom,
c’était le président du jury "New currents", accompagné bien
sûr de sa contagieuse Maladie Tropicale.
2046
Conférence
de presse de Tony Leung et Wong Kar-wai
Café Lumière
Maladie Tropicale
LA COREE ET LES COREENS
Deux
sujets traversent les bons films coréens découverts au festival : d’abord
la culpabilité par rapport à un passé trouble, dans R-Point
(sur la guerre du Vietnam) et La pègre (le dernier Im
Kwon-taek, qui fait un cours d’histoire original mais peu accrocheur),
mais l’histoire de la Corée a toujours été un terreau fertile pour le
cinéma local. La nouveauté de cette année sont... les coréens.
C’est idiot à dire, mais ces derniers temps, le cinéma coréen a plutôt
épaté le monde par ses révolutions stylistiques, ses mélanges de genre
et a pu se réfugier dans un petit monde assez formel. La réalité, la pauvreté
de nombreux coréens, ne faisait qu’irruption dans des films opulents ou
métaphoriques, et toujours de façon hyper-violente (A Good lawyer’s wife,
Oasis, Oldboy...).
Les auteurs les plus côtés du moment, Kim Ki-duk et Park Chan-wook, continuent
dans cette tendance, mais les intrusions de "la rue" ne sont
plus des intrigues périphériques, c'est le sujet du film. On a été vraiment
été bluffé par le dernier Kim Ki-duk, Bin Jip, stupéfiant
poème presque uniquement visuel, par contre le dernier Park Chan-wook,
un des trois courts du triptyque Three : Extremes (aux
côtés de Fruit Chan et Takashi Miike), est au bord du détestable. Le golden
boy cannois semble avoir perdu sa verve anarchiste au profit d’une seule
virtuosité maligne.
Un
souffle bien plus important est apporté par cinq petits films, tous des
premières oeuvres. Ils amènent des gens qu’on ne semblait jamais avoir
vu : les jeunes désœuvrés de My Generation (le film le
plus courageux de Pusan ?) et Bad Utterances (dans une
veine similaire mais moins radical), les illuminés bohèmes de So
Cute (croisement des premiers Kim Ki-duk et Kusturica, à surveiller),
les orphelins obèses de Shin Sung-il is missing (un OFNI),
et, surtout, la postière de This Charming Girl (ci-contre).
Ce film touchant dans une tradition plutôt européenne, avec une actrice
stupéfiante, a remporté le prix New Currents (meilleur première oeuvre
asiatique) et devrait être un prévisible chouchou des festivals occidentaux.
Comme on est des cracks, c’est le réalisateur de ce film qu’on a interviewé.
Autre nouveauté en Corée, la comédie policière, genre plutôt HK ou américain,
avec le sympathique The Big Swindle. C’était le film
commercial le plus réussi de la sélection, car d’autres produits qui plaisent
aux coréens ont laissé les autres festivaliers perplexes : Someone
Special et My Mother, the Mermaid ont des qualités
mais trop de ratés, Spin Kick et The Wolf Returns
sont des sous-produits qu'on n'est pas censé voir dans un festival.
Quand à The Scarlet Letter, de Daniel H. Byun (Interview),
film prestigieux, ambitieux, présenté en clôture, c’est, de l'avis général,
un ratage qui vaut quand même pour ses acteurs. La sélection coréenne
reprenait enfin Samaria et Oldboy,
les valeureux soldats revenus victorieux des festivals internationaux,
et La femme et l’avenir de l’homme,
que bien peu de coréens ont aimé, jugeant que Hong Sang-soo devrait changer
de disque.
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LE DOCUMENTAIRE regarde à gauche et vers le nord
Dernier
exemple d'un interêt grandissant pour le réel, le festival présentait
de nombreux documentaires. Ce genre est florissant en
Corée, avec un ton souvent "engagé de gauche", dans un pays
ou parler du monde ouvrier vous faisait vite passer pour un socialiste,
un ennemi du Nord. La parole s'est nettement libérée maintenant. Ceci
fera l'objet d'un dossier spécial par Gilles, mais notons deux films liés
justement à l'inépuisable sujet de la Corée du Nord : Repatriation,
sur l'intégration dans la société sud coréenne de nord coréens qui ne
renoncent pas à leurs convictions, fait l'unanimité. L'anglais A
state of mind, baptisé depuis Les demoiselles de Pyongyang
pour une diffusion sur Arte, est un évènement qui divise. Cette première
intrusion chez une famille nord-coréenne fascine mais peut être faut-il
quand même réfléchir un peu sur la mise en scène "à l'américaine"
de ce qui aurait pu être un chef d'oeuvre.
Repatriation
A State of Mind (Les demoiselles de Pyongyang)
RETROSPECTIVE DE COPRODUCTIONS COREE / HONG KONG
Dans
la foulée d’un hommage à Chung Chang-hwa l’année dernière, le festival faisait
une rétrospective de coproductions Corée / Hong-Kong des années 60 et 70.
Tous les genres étaient abordés : horreur (l’amusant Black Hair),
nanar "femmes en prison" (The Bamboo House Of Dolls,
parait-il très hot), mélo (School Mistress, avec Li Ching),
film historique (le somptueux Last Woman of Shang) et évidemment
arts martiaux, avec notamment Hand of Death, un des premiers
John Woo avec des débutants nommés Jackie Chan et Sammo Hung, ou le fantasque
Duel to the Death.
School Mistress |
LE JAPON TOUJOURS EN FORME
On
pourrait faire un cycle avec les films japonais parlant de la communauté
coréenne ou réalisés par des japonais originaires de Corée. On ne soupçonne
pas, ici, l'animosité complexe entre ces deux pays que l’on croit si proches.
Blood and Bones, de Sai Yoichi, dans lequel Takeshi Kitano
joue un entrepreneur coréen au Japon, se charge de nous le rappeler mais,
selon Gilles, avec peu de finesse. Par contre, We shall overcome
someday, excellent teenage movie mâtiné de fresque historique,
situé en 1968 contient d’étonnantes scènes de batailles de rue corréano-japonaises.
69 est situé, comme son titre le suggère, une année après.
C’est un autre teenage movie, mais pas sérieux du tout comme seuls les japonais
savent le faire. A ceci près que le réalisateur, Lee Sang-il, est d’origine
coréenne.
On
en aura jamais fini de puiser dans le cinéma japonais, capable de toutes
les audaces et qui regorge d’auteurs attachants. Ainsi Shinji Aoyama, star
d’un film, Eureka, mais plutôt un gros malin monté en épingle. Il s’est
fait plaisir, et nous avec, sur son Lakeside Murder Case,
une des premières mondiales les plus remarquées du festival. Et Miike, sacré
Miike, parait-il nul sur Izo (pas vu) mais stupéfiant poète
dans Box, du triptyque d’horreur Three : Extremes.
Plus confidentiel, World’s End Girl Friend donne de charmantes
nouvelles d’une actrice qu’on adore, Nakamura Mamie (la "Tokyo Trash
Baby") et d’une femme réalisatrice qu’on aime bien, Shiori Kasama,
mais qui manque un peu de force pour convaincre totalement. Survive
Style 5+ tente le coup du trip psyché-délirant façon A taste of
Tea. Certains ont adoré, ça nous a lassé. Même déception devant Hana
et Alice, le très attendu nouveau film de Shunji Iwai. Ses fans,
très nombreux en Corée, tombent en pamoîson, nous on avait laissé ce film
en plein milieu au marché du film de Cannes tellement on ne voyait pas l’intérêt
de ces amourettes collégiennes, sous les violons et les mouvements de caméra
mous. Enfin la, heuh, chose Casshern en fait jubiler certains.
On doit pas être sur la même planête. On a manqué quelques autres films,
dont le manga Appleseed, qui aurait fait sensation.
Enfin Pusan était l’occasion pour les Coréens de découvrir le beau Nobody
Knows.
Blood and Bones We shall overcome someday 69 World’s End Girl Friend |
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Lakeside Murder Case Izo Survive Style 5+ |
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Hana et Alice Casshern |
UN PANORAMA DE PRESQUE TOUTE L'ASIE
Rares
étaient les pays asiatiques ayant une cinématographie non présents au festival.
La MALAISIE, avec deux films (La magnifique machine
à laver de James Lee et Sanctuary de Ho Yu-hang)
commence à se faire une place et la THAILANDE est désormais
incontournable. Retenez absolument Macabre Case
of Prom Piram de Manop Udomdej, un des chocs du festival. Il réussit
à raconter avec pudeur le calvaire inouï et véridique d'une fille violée
à la chaine par des villageois en manque maladif de femmes. C'est un film
populaire mais qui essaie à chaque plan de donner à penser. Lorsque Manop
Udomdej filme la cavalcade grotesque de mâles en rut avides d'aller baiser
un bout de viande, le film pointe, mais sans juger, un malaise profond,
la fuite des femmes de la campagne vers la ville, entre autres à cause de
la prostitution. Tout d'un coup la Thailande n'est plus un paradis du cul,
mais un enfer d'hommes à jamais pervertis.
Plusieurs films CHINOIS/TAIWANAIS étaient présentés :
notons la première mondiale de Jour et Nuit, de Wang Chao
(L'orphelin d'Anyang), un film très exigeant dont on reparlera à sa sortie
en France. Egalement le taiwanais Formula 17, comédie sur
l'homosexualité qui a connu un immense succès dans son pays, mais ce n'est
en fait qu'un téléfilm caricatural.
Et Pusan avait un nouvel exemple de la grande mode en Asie, le FILM
"OMNIBUS" (un festival dédié à ce genre vient même de
se créer à Seoul), constitué de troix moyens métrages.
About Love a un taiwanais (de Yee Chih-yen, réalisateur
de Blue Gate Crossing), un chinois (Zhang Yibai) et un japonais (Shimoyama
Ten). C'est parait-il mignon. On a tenté de le voir en vidéo, mais la qualité
était trop mauvaise.
Au passage, spéciale dédicace au sourire des deux filles de la salle vidéo,
où on venait se réfugier quand on se faisait refouler des séances... Parce
qu'un festival réussi, c'est un ensemble de petites joies quotidiennes.
Ce qui fait une jolie conclusion. Khamsahamnida et anyeonggi gieseyo!
"Envoyés spéciaux" à Pusan : Yann Kerloc'h et Gilles-Maxime Chanial. Merci au service de presse du festival et au Seoul Net and Film Festival. Dossier réalisé par Yann K. Photos : Yann K et PIFF.