Elise | 3.75 | Traitement clair et sans bavure d'un sujet chaud *** SPOILER *** |
Yasukuni est un sanctuaire japonais recensant les millions de soldats morts au combat, élevés ainsi au statut de dieux. Créé pendant l'ère Showa, ce sanctuaire démontre un fort sentiment nationaliste et a pour but d'honorer tous les japonais morts pour le pays et l'Empereur depuis 1868. Mais derrière un fort sentiment national, il dévoile de nombreux aspects qui ne plaisent guère aux peuples voisins, ainsi qu'à quelques japonais. C'est ce que tente de montrer "Annyong, Sayonara", en suivant le parcours de deux personnes, pendant 5 ans.
Lee Heeja est une coréenne née pendant la colonisation japonaise de la péninsule, et perdit son père alors qu'il fut engagé de force dans l'armée japonaise pour se battre au front de la seconde guerre mondiale. Elle n'eut plus de nouvelle de lui jusque dans les années 90, moment où elle commença à entreprendre des recherches. C'est alors qu'elle apprit que son père était inscrit au sanctuaire Yasukuni, comme héros de l'empire japonais.
Masaki Furukawa est un citoyen de Kobe, ville japonaise en grande partie détruite lors du séisme de 1995. Alors qu'il travaillait pour la ville, il rencontra Lee Heeja, qui venait apporter son soutien au victimes de la catastrophe. C'est depuis cette rencontre qu'il a cherché à connaître la vérité sur Yasukuni, afin de comprendre ce qui pousse de nombreuses personnes, dont des japonais, à lutter contre l'existence du temple.
Ainsi, ce documentaire démontre pourquoi Yasukuni ne peut être accepté en tant que tel par tous les peuples voisins, en particulier les Coréens, les Chinois et les Taïwanais, étant un symbole du passé colonialiste japonais. La liste des points controversés est en effet édifiante.
Le principal problème que rapporte le film est l'inscription des personnes enrôlées de force dans l'armée japonaise pendant la guerre. Parmi ces personnes, de nombreux Coréens et Taïwanais colonisés, qui furent inscrit à Yasukuni comme héros japonais (car de nationalité japonaise pendant la guerre) car, selon la tradition du sanctuaire, les personnes inscrites au sanctuaire l'étaient sans consultation des familles, donc sans autorisation. Il est évidemment considéré inadmissible et insultant par ces familles, que leurs pères soient allés se battre et soient mort pour le Japon, alors qu'ils y furent forcés (ces familles ne savent pour la plupart même pas ce que sont devenus leur parents). Une japonaise déclare également "Qui voudrait être honoré par l’Empereur quand vous êtes mort à cause de lui ?", montrant que même des soldats japonais furent forcés de se battre, et que leurs familles ne sont pas toujours d'accord pour qu'ils soient honorés pour un acte criminel. De plus, depuis 1978, 14 militaires reconnus coupable de crimes de guerre, dont le Tojo Hideki, sont inscrits au temple, aggravant les relations entre les responsables japonais et les victimes de la guerre, ceux-ci ne voulant pas que leurs parents, forcés à combattre, soient comparés à des criminels.
Un autre point important est la vision de la guerre par le Japon. En effet, l'invasion de l'Asie de l'Est par la Japon y est vue comme une guerre pour libérer l'Asie de l'envahisseur occidental. Les réalisateurs n'hésitent alors pas à donner la parole à des professeurs, chercheurs, associations prônant les grandes valeurs de cette guerre sacrée. Un étudiant affirme même que la guerre était justifiée dans la mesure où des pays comme les Philippines voient toujours le Japon comme un sauveur et non un envahisseur. Mais quand est-il de la Corée, de Taïwan et de la Chine, qui furent totalement ou partiellement intégrés au Japon en tant que colonies, et dont les habitants devaient porter des noms japonais et s'intégrer au système citoyen japonais, tout en recevant un traitement défavorable voir inhumain par leur colonisateur. Des peuples dont les hommes étaient emmenés de force à l'usine où à la guerre et dont les femmes étaient utilisées comme femmes de réconfort pour les soldats japonais. Le fait d'avoir libéré certains pays colonisés par l'occident ne justifie pas les atrocités commises dans les autres.
Cela fait également ressortir le problème des religions. Bien qu'après la seconde guerre mondiale, la religion et l'état furent séparés dans la constitution japonaise, le shintô (principale religion au Japon) est toujours vivace et surtout se retrouve dans les actes des hommes politiques, ce qui amène à des confrontations avec les gouvernements étrangers sur des questions non résolues. Ainsi, les visites du premier ministre Koizumi au sanctuaire sont très controversées car, le sanctuaire honorant 14 criminels de guerre, l'acte du premier ministre vient donc sanctifier une fois de plus ces personnes qui ont agis pour, voire ont commandité les actions criminelles perpétrées contre les populations colonisées, comme le massacre de Nankin, qui prend une grande part du récit (et dont certains responsables japonais nient l'importance). De plus, la puissance spirituelle de Yasukuni a un effet dangereux sur la jeunesse japonaise puisque, plus que d'être un lieu où honorer les morts, il est également une justification de la guerre du Pacifique, et pire, une justification pour toutes les autres guerres auxquelles le Japon sera amené à participer et une raison pour les jeunes d'aller se sacrifier pour leur pays, quelque soit le contexte (une brève référence est d'ailleurs faite à la guerre en Irak).
Cela montre, de plus, une attitude totalement irrespectueuse de la part des responsables de Yasukuni, qui ne cherchent pas à savoir si les morts sont honorés d'une autre façon ailleurs en les inscrivant dans le sanctuaire sans demander l'avis des familles, et du gouvernement qui ne s'excuse pas, voire qui nie les problèmes. Il est honteux de voir le "Président de l'Association pour Sauver le Japon" (le sauver de quoi, d'ailleurs) déclarer sans même hésiter "Le Japon n'a jamais commis d'atrocité". La question à se poser est que si des personnes si présentes médiatiquement pensent de cette manière, comment le Japon peut-il être amené à respecter ses voisins et un jour construire une paix véritable dans la région ? Le Japon pense-t-il se déshonorer s'il s'excuse de ses crimes ? Ou pense-t-il ne pas avoir à s'excuser pour des crimes perpétrés il y a si longtemps maintenant, par d'autres gens ? Ou a-t-il dans le but d'augmenter sa force militaire afin de reprendre avec fierté le blason de l'Empire terni par la défaite de la seconde guerre mondiale ? Tant de question que ce film fait ressurgir alors que le problème des victimes de le guerre n'est toujours pas réglé.
Dans la forme, "Annyong Sayonara" est parfois un peu lourd. Il apporte une grosse touche mélodramatique, qui pèse beaucoup sur le thème abordé. Les différents protagonistes lâchent beaucoup de larmes pour montrer l'horreur de la situation, ce qui est assez ennuyeux par moment. Par ailleurs, Kim Tae-Il réalise ce documentaire en collaboration avec une japonaise. Cela permet ainsi de ne pas tomber dans un pamphlet anti-Japon. En effet, "Annyong Sayonara" s'acharne à respecter les Japonais et ne critiquer que la vision conservatrice et militariste d'un gouvernement qui, dans tous ses aspects, ne cherche pas à apaiser les relations qu'il entretient avec les pays voisins. En outre, de nombreux Japonais sont là pour soutenir les Coréens et les autres peuples victimes dans leur combats car, disent-ils, ils aiment leur pays (le Japon) et veulent le meilleur futur pour leur enfants, en paix avec les autres peuples.
A ce jour, les problèmes subsistent toujours. Le Japon a un nouveau premier ministre, encore plus conservateur et radical que Koizumi, et même si l'action coréenne prend de plus d'ampleur, le Japon voit son passé militariste resurgir, dans la mesure où le pays veut se doter d'une armée nationale et accessoirement de la bombe nucléaire. L'avenir ne se montre pas sous un beau jour, et ce documentaire n'a la force que de déterrer le problème un peu plus, sans arriver à une conclusion, malheureusement.