Il restera dans les annales du festival de Pusan que
les milliers de places pour la séance de 2046 ont été
réservées en 4 minutes sur le site officiel. Quelles sont
vos impressions par rapport a cet engouement autour du film ici, et sur
votre présence au festival de Pusan en général ? |
Tony Leung : Je suis ravi et honoré. C’est
ma troisième fois ici, et a chaque fois que je viens, je me sens
comme en vacances, car c’est une ville avec des plages et je suis
très bien accueilli. Je suis submergé par les sentiments
enthousiastes que l’on voit ici. Wong Kar-wai : La première
fois que je suis venu ici j’ai été très étonné
de l’accueil ici. Certains cinéphiles viennent de plusieurs
villes en train et dorment dans les couloirs, juste pour voir mon film.
Les cinéphiles coréens sont très enthousiastes.
Je crois que c’est dû a ce casting merveilleux, dont Tony
Leung, mais aussi a la passion pour le cinéma. Donc, je suis
étonné mais pas tant que ça. |
Monsieur Wong Kar-wai, vous avez retourné des
scènes et remonté le film après la présentation
du film à Cannes, pouvez vous nous dire quels sont ces changements
? |
Wong Kar-wai : Quand on a envoyé la copie
à Cannes, nous étions dans l’urgence, tout n’était
pas prêt. Après, les plans pour les animations 3D étaient
finis, donc nous les avons inclus dans le film et nous avons refait le
mixage. |
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Monsieur Wong Kar-wai, on peut dire que vous êtes
le réalisateur le plus romantique du monde. Etes vous d’accord
avec cela et selon vous, quelle serait la définition d’un
« vrai amour » ? |
Wong Kar-wai : Je ne crois pas que je suis si romantique.
Et il est tellement difficile de définir l’amour, c’est
ce que dit 2046. Beaucoup croient que c’est une histoire d’amour,
au début je pensais aussi cela, puis j’ai réalisé
que c’était une « histoire sur l’amour ».
Donc je n’ai pas la réponse à votre question, et je
crois que mes interrogations sont dans le film. |
Monsieur Tony Leung, d’habitude vous jouez les
rôles d’homme abandonné par les femmes. Cette fois-ci,
c’est vous qui abandonnez beaucoup de femmes magnifiques. Quel rôle
est le plus difficile pour vous ? |
Tony Leung : Ce rôle dans 2046 fut le plus
important challenge de ma carrière. Car Wong Kar-wai m’a
dit que j’étais le même Chow que dans In the mood for
love, mais mon style devait être différent. Je m’étais
habitue au personnage, il était difficile de changer tout cela. |
Les feuilletons télévisés coréens
deviennent très populaires à Hong Kong. Monsieur Tony Leung,
avec quelle actrice de ces feuilletons aimeriez vous tourner ? |
Tony Leung : J’ai effectivement vu beaucoup
de dramas coréens avec des très belles et excellentes actrices.
Comme je suis un homme très gourmand, ne me forcez pas à
choisir une seule de ces belles femmes, j’espère que je pourrais
faire un film comme 2046 où je pourrais avoir des histoires d’amour
avec chacune d’elles l’une après l’autre ! |
Monsieur Wong Kar-wai, pourquoi avoir choisi un acteur
japonais, Takuya Kimura et quels sont vos impressions sur sa performance
? |
Wong
Kar-wai : C’est à cause de cette dame (il pointe une jeune
femme cachée à gauche), c’est une de nos productrices.
Depuis des années, elle est complètement folle de cet acteur
japonais et elle n’arrêtait pas de m’envoyer ses cassettes
(rires). J’ai regardé et l’ai trouvé bon. Elle
a arrangé la venue de Kimura Takuya a Hong Kong. Mais je ne savais
pas s‘il pouvait correspondre à la façon dont je fais
les films. Car les acteurs japonais sont très disciplinés,
ils ont l’habitude de tout savoir pour se préparer. Alors
je lui ai dit que l’histoire changerait beaucoup. Son entourage
pensait que ce serait très risqué mais lui y a vu un challenge
personnel. Pendant les quelques mois ensemble, ce qui m’a frappé
est qu’il a un excellent entraînement. Il peut faire toutes
sortes de choses, danser, chanter et être un excellent acteur. Certains
acteurs doivent être poussés, d’autres, comme lui,
ont besoin d’être retenus pour que leur jeu colle avec le
reste du casting. Maintenant mon amie productrice a changé de goûts.
Elle est folle des acteurs de TV dramas coréens (rires). |
Vous avez une grande affection pour vos acteurs. A quel
point cela se reflète t-il dans vos films ? |
Je dois être obligé de répondre
à cette question, car c’est tellement « cinéphile
», non ? En tant que réalisateur, vous devez aimer les personnes
que vous mettez en face de la caméra. Et il ne s’agit pas
uniquement du casting principal. Chaque personne a l’écran
est importante. Parfois j’aurais une star qui va jouer le rôle
mais je peux demander à l’assistant caméra ou l’accessoiriste
d’être dans le film, parce que je les connais, leurs visages
racontent une histoire. |
Dans 2046 comme dans In the mood for love, on retrouve
exactement un geste vu dans Nos années sauvages, Tony Leung qui
réajuste sa mèche de cheveux. Pourquoi cette image est si
symbolique pour vous ? |
Il y a des éléments similaires chez
certaines personnes. Par exemple votre coupe de cheveux peut me rappeler
quelqu’un d’autre. Vous marchez dans la rue et croisez quelqu’un
qui fait remonter un souvenir. C’est quelque chose qui traverse
toujours mon esprit. Je voulais capturer ça dans 2046. Chow a de
l’affection pour le personnage de Gong Li parce qu’elle a
le même nom que Maggie Cheung dans In the mood for love. Je veux
susciter le même sentiment pour le public qui connaît mes
films. Car s’ils regardent certains aspects du personnage de Chow,
cela leur rappellera des personnages qu’il a joué dans mes
films précédents. |
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Certaines de ces images « réminiscentes
» dans 2046 sont elles des souvenirs personnels ? |
Wong Kar-wai : Etre réalisateur est un
privilège car vous pouvez vous faire plaisir. Ainsi si vous voulez
aller en Argentine, vous inventez une excuse pour y tourner un film:
c’est Happy Together. Pour la scène ou Tony se prépare
à sortir la nuit de Noël, quand je lui ai demandé
de réajuster ses cheveux, cela m’a rappelé la façon
dont il le faisait dans Nos années sauvages. Alors je lui ai
dit : pourquoi pas comme cela ? Au départ c’est nous que
ça amuse, comme un secret, car tous les spectateurs de 2046 n’ont
pas vu Nos années sauvages. Mais si c’est le cas, cela
devient un secret entre eux et nous. Pendant le tournage de 2046, nous
avons donc pris beaucoup de plaisir, car nous avons partagé beaucoup
de secrets. |
Chow dit au personnage de Gong Li : « Quand tu
sera libérée de ton passé, reviens vers moi ».
Mais celui qui est le plus prisonnier de son passé n’est-il
pas Chow lui-même ? |
Wong Kar-wai : Les problèmes des femmes
de 2046 sont ceux de Chow. Lui aussi fonctionne « avec retard
», il ne réagit pas sur le moment. Il a beaucoup de choses
en tête et ce n’est qu’après qu’il réalise
avoir manqué quelque chose d’important. Chow passe la plupart
de son temps à regarder en arrière, et parfois il imagine
son futur. C’est parce qu’il n’est pas satisfait de
lui maintenant. Nous devrions être plus attentif aux choses du
présent, car ce sont les seules qui nous entourent réellement.
Elles bougent très vite, alors vous risquez de les manquer si
vous n’y faites pas attention. |
Propos recueillis au festival de Pusan par Yann Kerloc’h. Merci au
service de presse du festival.